MAYOTTE, FRANCE, 2024

REQUIEM POUR LA CINQUIÈME


 

Les images et les informations qui nous reviennent de Mayotte dépassent littéralement l'entendement.

On dirait que ce confetti de l'Océan indien a été élu par le destin pour que le hasard s'y fasse nécessité. A l'intersection catastrophique de toutes nos crises, des blessures coloniales qui purulent depuis des siècles s'y mêlent à nos impuissances les plus contemporaines dans un chaos de morts et de mots, dans un tourbillon de paniques tétanisées et de valses au-dessus d'un volcan.

Il y a quelque chose de vertigineux dans ces moments historiques où tout se télescope et où le réel trop longtemps contenu dans des récits boiteux décompense à toute allure. C'est à Mayotte éventrée que cristallise brutalement la vacance politique dont le conseil municipal de Pau s'est donné à voir comme le théâtre burlesque.

A dix mille kilomètres de distance, notre grandeur et notre déchéance se toisent en un raccourci temporel saisissant. L'histoire se déchaîne et le gouvernement s'abrite derrière un couvre-feu comme le clandestin de Combani s'accroche à la tôle qui a décapité sa famille : on dirait qu'une ligne droite relie Saïgon, Sétif et Mamoudzou, longue traînée de souffrances qui suit l’œil du même cyclone. 

Nous ne le savons pas encore, mais l'histoire retiendra peut-être que la Vème République a été désintégrée au vent des îles, engloutie corps et biens dans les ténèbres de ce funeste 14 décembre 2024.

 

MORALE, JUSTICE ET VÉRITÉ 

 
 

Alors que Mayotte est rasée et que les Mahorais ignorent combien des leurs sont encore de ce monde, aborder la catastrophe sous l'angle de la "question migratoire" n'est pas seulement une abomination morale, une injure à la "décence commune", mais la preuve que la morale est une barrière bien fragile quand le langage et la logique viennent à faire défaut.

Imputer à des gens décapités par les tôles de leur bidonville le tort d'avoir été là, voir dans les ratonnades de Darmanin une solution au problème dont la gauche aurait causé l'échec : ces inversions accusatoires sont le délire paniqué de ceux qui croient qu'ils sont du bon côté, qu'ils ne sont pas "en trop", que les Mahorais ne sont pas leurs prochains au sens le plus rigoureux du terme, affadi par une conception patronale de la charité chrétienne.

Tout rabattre sur un cyclone, une "déferlante migratoire" ou un "tsunami démographique", c'est participer d'une élaboration mythique du réel, se refuser à voir et à dire que ces mouvements de populations, ainsi que ce qui les rend vulnérables, procèdent de choix politiques qui nous concernent et auxquels nous consentons. Ces choix ont fait le martyre de Mayotte comme ils font en métropole le martyre des paysans, des ouvriers, des banlieues et de tous ceux qui expérimentent, jour après jour, la vaporisation des services publics les plus élémentaires.

A Mayotte, comme hier à Nouméa, se joue la vérité de ce que nous sommes : les sujets dociles d'un vieil Empire colonial qui essaie de se survivre dans son allégeance à l'Occident terminal ou bien des survivants en humanité, des citoyens assoiffés de reconquérir leur indépendance économique et politique.

Soyons humbles, prudents et réfléchis : toutes les paroles que nous prononçons à ce sujet sont susceptibles d'être retenues contre nous au tribunal de l'Histoire.

 

 



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