Il y a
cinq ans, Adolphe Thiers reparaissait à l’Élysée sous les traits d’un jeune
banquier de trente-sept ans. Au bout d’une interminable litanie de souffrances
et de persécutions, par la grâce de l’Argent et de nos petites cupidités
égoïstes, voici le même réélu. Le « giratoire électoral », tel un
piège infernal, a joué son office de trou noir où s’engloutissent les
révolutions.
Ici et
là, pourtant, notre futur se craquelle de quelques lézardes par où se devine une
issue.
En dirigeant
leurs suffrages sur l’héritière de Jean-Marie Le Pen dans les mêmes proportions
qu’ils avaient plébiscité Mélenchon le 10 avril, les Outre-mer ont fait
ressortir en creux la manière dont les deux candidats de l'opposition, à force
de confondre leur devoir avec la gamelle et de mettre du sel sur les plaies pour
sauver le fonds de commerce de leurs clientèles captives, ont sciemment livré
le peuple de France au plus cruel des fascismes. Par un défi tragique qu’ils
viennent de jeter à la face de nos certitudes, foulant au pied la verroterie
commémorative dont le bon maître blanc consent à leur faire l’aumône en échange
de leur vie, les Français des antipodes se sont extraits du cachot au fond
duquel, pour le plus grand bonheur des négriers contemporains, nous nous étions
claquemurés les uns les autres. Alors qu’il aurait pu refleurir sous la moiteur
des tropiques, le cirque du racisme et de l’anti-racisme y a été balayé par le
vent des îles.
À en
croire le chœur de vierges effarouchées qui poursuit l’indigène de ses
hurlements outragés, cette révélation n’a rien d’indolore. Aux avant-postes de
notre indépendance, les Outre-mer viennent de déchirer le rideau du Temple et
de nous rappeler ce que nous sommes. La France, notre France, avait la peau
noire en Guadeloupe tandis que la Savoie ne lui appartenait pas encore. Et bien
des années avant que les cloches de Nice ne cessent de sonner à l’heure du
Piémont, elle répondait déjà au muezzin de Tsingoni. Qui aurait pu imaginer que
notre francité découvre dans le cœur saignant des mémoires créoles
l’ultime refuge de sa désarmante insolence ?
C’est
pourquoi, plutôt que de nous substituer au tribunal de l’Histoire et de manier les
uns contre les autres le fer rouge de l’infamie, soyons économes de nos colères
et réservons-les, intactes, à de plus justes causes. Aux linceuls de haines que
d’autres ont tissés pour nous, préférons le grand large des sécessions
généreuses.
Brûlante
comme une soif de justice, infinie comme un horizon d'espérance, la France, notre
France, est une histoire qui s'offre et qui se reçoit. Ne la rabougrissons
pas aux dimensions de nos fantasmes et de nos calculs.
Ce soir,
il faut se recueillir.
Demain
c'est la guerre.
[Illustration : un coucher de soleil à Tubuai, dans les Australes, en août 2017]