GIRATOIRE ÉLECTORAL

 

J'entends que l'électorat Mélenchon détiendrait la clé du scrutin à venir. Mesure-t-on suffisamment ce que l'apparente simplicité de cette formule dissimule de redoutables complexités ?

C'est peu dire, en effet, que la notion d'"électorat Mélenchon" globalise une réalité traversée de violents antagonismes. Pour des gens comme Autain, Obono ou Bompard, qui représentent assez bien le mélenchonnisme des hyper-centres urbains où le candidat LFI a spectaculairement percé, la détestation (probablement sincère) du personnage Macron n'empêche pas le macronisme d'offrir un débouché naturel à leurs fantasmes de déconstruction sociétale. Macron ne s'y est pas trompé, qui a dépêché Marlène Schiappa sur les plateaux pour tenter de récupérer l'électorat insoumis sur le terrain de l'"IVG" et des "valeurs". Est-ce à dire que M., quand il essaie de protéger ses enfants des violences conjointes de la police et du crime organisé en grande banlieue parisienne, ou J.-P., qui fait face aux CRS sur son rond-point de Thiérache, doivent se sentir concernés par les états d'âme de C., à Versailles, sur son projet de GPA en Ukraine ?

Ces exemples démontrent comment la structure de la machinerie électorale est conçue pour verrouiller les malentendus que nécessitent la capture de clientèles et l'obtention (ou la conservation) des rémunérations juteuses qui en résultent. Comment expliquer autrement l'humiliante pantalonnade à laquelle un Mélenchon a dû se livrer dès le huitième coup de vingt-heures, au même titre que le MEDEF, la CGT, SOS-Racisme, la conférence des évêques de France et le club des pêcheurs à la ligne de Trifouilly-les-Oies ? Voilà comment des intérêts communs se fracturent de haines inextinguibles (le prolétaire immigré du 93 qui se prend pour l'ennemi du gilet jaune ardennais) tandis que des chasses gardées électorales continuent de recouvrir des béances sociales irréductibles (le petit retraité post-soixante-huitard qui s'obstine à voir en Gabriel Attal le profil du gendre idéal). Au-dessus, planant comme des vautours au dessus du cadavre, il y a les Enthoven, Fourest, Brice Couturier, Zineb El Rhazoui... tous ceux en qui s'incarne, d'ores et déjà, ce "grand mouvement politique d'unité et d'action" en faveur duquel Macron s'est déclaré et dont le programme, d'après Castaner, serait "l'émancipation par le travail" (parallèles historiques glissants).

L'électeur qui calcule une stratégie de "vote utile", le dimanche matin en avalant son bol de café, et qui se flatte du "sacrifice" qu'il consent en "se salissant les mains", ne se rend pas compte que ses propres stratégies sont sur-determinées par des lignes de clivage qui, elles, ne doivent jamais être interrogées faute de remettre en question l'équilibre institutionnel lui-même. En dépensant quelques calories pour se déplacer au bureau de vote (soit beaucoup moins que n'en nécessite, par exemple, l'écriture de ce simple texte), l'électeur s'imagine poser une action par laquelle il rachète des années d'abdication quotidienne. Cependant, contrairement à ce qu'il croit, les scores produits n'ont pas de valeur en eux-mêmes : ils ne prennent sens qu'au travers des présages que feignent de découvrir les haruspices médiatiques dans les entrailles encore fumantes du sondé dominical.

Par un phénomène d'eucharistie parodique, l’élection récapitule et rend présente la totalité des aliénations auxquelles nous consentons d'habitude de manière successive et déconcentrée. En tant que rituel de magie noire arithmétique, le giratoire électoral se présente comme l'institution suprême de notre fausse conscience politique.

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