"Un peu de patriotisme éloigne de l'internationale, beaucoup de patriotisme y ramène." (Jean Jaurès)
mercredi 27 octobre 2021
LE RECIT DE NOTRE IMPUISSANCE
mardi 12 octobre 2021
DU LANGAGE (3) - LA MÉMOIRE ET LE SENS
Les révisionnistes pensent que la mémoire de la Seconde Guerre mondiale est posée sur le réel par des individus qui l’instrumentalisent à des fins de domination. Ils infèrent de là qu'il faut remplacer une Mémoire par une autre Mémoire. Une Mémoire de méchants par une Mémoire de gentils.
Mais ce n'est pas du tout comme cela que le problème se pose. La mémoire de la Seconde guerre mondiale est un récit collectif par lequel une société traumatisée par l'expérience qu'elle a vécue tente de la réécrire sous la forme d'un choc exogène qui l'exonère de sa propre responsabilité, qui en fasse autre chose qu'un séisme engendré par la tectonique de ses propres plaques. On a fait d'Hitler l'incarnation d'un "mal absolu", une figure biblique descendue des nuées, parce qu'on n'a pas voulu voir en face qu'il était le résultat historique de nos propres contradictions et que nous avions donné à voir, entre 1940 et 1945, d'Auschwitz à Hiroshima, de Stalingrad aux plages de Normandie, le Capital à l'état nu, le Capital dépouillé de tous les oripeaux "conservateurs" ou "humanistes" par lesquels nous aimons à dissimuler sa nature intrinsèquement criminogène et meurtrière. Là où le révisionniste croit prendre le contre-pied, il fait exactement la même chose. La mythologisation dont Hitler a fait l'objet n'a pas consisté à lui attribuer six millions de morts au lieu de trois-cents mille ou de zéro. La mythologisation d'Hitler a consisté à en faire le bouc-émissaire de notre propre crime ("notre" au sens fort, "notre" au sens où nous sommes, que nous le voulions ou non, les membres consentants de cette conjuration). En pinaillant sur des chiffres, le révisionniste cherche à transformer le bourreau en victime et les victimes en bourreaux. Puisque ce n'est pas Hitler LE Mal, c'est donc, comme ont voulu le croire les contre-révolutionnaires du XIXème siècle, que ce sont les Juifs (Mammon, l'argent, la banque...). Le révisionniste substitue à une mythologie à une autre mythologie, dans un contexte postchrétien où le statut de bouc-émissaire, dès lors qu'il fait l'objet d'un consensus, a valeur d'absolution. Donc si c'est Hitler le bouc-émissaire c'est que c'est lui l'innocent, et ce sont ses accusateurs qui sont les coupables.
Seulement, le crime que "nous" avons collectivement commis (nous, l'Occident, dont nous sommes si prompts à revendiquer la supériorité face à toutes les autres civilisations), ce crime, donc, est si énorme que toutes les formes de récit mythologique que nous tentons d'écrire pour en dissimuler le caractère endogène sentent trop la colle et le carton-pâte. C'est trop gros, ça transpire et ça dégouline de tous les côtés. C'est pourquoi il faut tant de béquilles policières et mémorielles pour que ça tienne debout. Et c'est pourquoi aussi le dialogue est impossible. Ce n'est pas parce que nous faisons face à un adversaire extrêmement puissant, à une bête immonde sans cesse sur le retour - "Hitler" pour les uns, l'"hydre judéo-maçonnique" pour les autres. C'est parce que nous nous tenons tous par la barbichette d'un mensonge qui a de plus en plus de mal à nous faire tenir ensemble. Plus nous prenons au sérieux les mensonges par lesquels nous croyons devoir nous opposer moins nous arrivons à porter ensemble ce qui nous réunit - ce désir maladif de pérenniser le Capital. Et moins nous arrivons à porter ensemble ce qui nous réunit plus nous devons nos forcer à prendre au sérieux les mensonges par lesquels nous croyons nous opposer.
Que cherchent donc à dire ceux qui affirment, par exemple, que les "chambres à gaz" n'ont pas existé ? Je pose l'hypothèse suivante : sous les apparences trompeuses d'un hyper-criticisme historique, ce propos n'a aucune autre portée que le champ performatif de sa propre réception. C'est comme une bombe posée sous le siège d'un métro à l'heure de pointe. Il a pour fonction d'empêcher le dialogue. Cette situation, qui revêt les apparences d'une opposition radicale, reflète en réalité un processus d'indifférenciation dont découle précisément la violence. En cela, la figure de "Satan" ("l'accusateur"), qui renvoie à celle de "diabolos" ("qui divise"), me paraît d'une actualité brûlante. Elle ne met pas seulement en jeu la morale, mais la possibilité de continuer à faire émerger un sens à partir du langage.
DU LANGAGE (2) - RACISME ET ANTIRACISME
La complexité de l'objet "racisme" tient au fait qu'il se présente à la fois comme positivité discursive ("je suis raciste parce que...", "je ne suis pas raciste mais...") et comme objectivation d'une subjectivité présumée ("... donc tu es raciste"). Sous quelque côté qu'on l'observe, le racisme est une construction imaginaire qui a pour réalité les effets performatifs de son énonciation, variables selon le statut de l'énonciateur.
Le racisme des dominants a cette propriété étonnante de produire de la domination sans être perçu par ses victimes autrement que sous la forme d'une réalité désirable mais qu'il n'est pourtant pas possible de nommer comme telle : des îlots ethniquement homogènes surprotégés par la police, où la présence colorée constitue l'expression matérielle de la domesticité (bonnes, gardes d'enfants...), et où se concentre l'essentiel des leviers du pouvoir. Le racisme des dominants se confond avec la réalité qu'il génère et n'a pas besoin de sortir des marges fluctuantes d'un non-dit communément partagé.
A l'inverse, le racisme des dominés, qui exprime l'adhésion mimétique de ses victimes à la logique oligarchique, produit de l'auto-servitude parce qu'il n'a pas les moyens de se traduire dans le réel autrement que par des rivalités horizontales qui occultent le racisme oligarchique. C'est ainsi qu'il faut comprendre l'antiracisme institutionnel. Il fait retomber la responsabilité du racisme sur les populations périphériques asservies, qui acceptent de donner le change en réclamant "la France aux Français". L'antiracisme, au fond, n'est rien d'autre qu'un racisme ésotérique qui permet à l'oligarchie de perpétuer la violence de classes dans un contexte post-colonial marqué par l'incapacité du récit patriotique traditionnel, dirigé contre l'ennemi extérieur, à mobiliser les masses au service de leur propre aliénation. C'est comme si, en 1914, les Français et les Allemands avaient continué de se battre sous les ordres d'un état-major qui aurait fusionné quelque part entre Paris et Berlin.
Vient Zemmour, qui bouscule cette logique.
Tandis que l'antiracisme permettait de conjuguer avec une grande économie de moyens l'infériorisation culturelle des populations immigrées et le mépris de classe dont étaient traditionnellement victimes les populations autochtone dominées, une partie de l'oligarchie, ou pour mieux dire les franges supérieures de sa clientèle en voie de déclassement, ces fameux "catholiques zombies" dont Emmanuel Todd identifiait la présence massive dans l'armée des "Je suis Charlie", ne croit plus en son propre mensonge. Même si elle en tire encore de substantielles prébendes, elle n'a plus les leviers du Capital. Tout juste accepte-t-elle d'échanger dix ou quinze-mille euros mensuels en échange de "bullshit jobs" qui expriment la soumission de l'"État profond français" en tant qu'expression territorialisée de l'hyperclasse mondiale. Cette fraction de l'oligarchie en est réduite à exprimer verbalement ce qu'elle pouvait manifester jusque-là, de manière autrement plus performante, par l’ostension des signes extérieurs implicite de sa supériorité sociale - par exemple : vivre sous digicode dans un quartier boboïsé où l'alibi diversitaire est à portée de fusil de la garde républicaine. La voilà donc qui se met à parler d'"épuration ethnique" tout en continuant de s'écharper sur les crimes passés du régime de Vichy.
Zemmour incarne cette fraction de l'oligarchie qui dit aux catégories populaires : vous avez le droit d'être racistes avec nous. C'est en ce sens que le moment Zemmour est un moment fasciste. En disant, ou en laissant dire, que certains quartiers sont victimes d'"épuration ethnique", Zemmour occulte le fait que la ségrégation ethnique du territoire français résulte directement ou indirectement de la géographie oligarchique et non pas des rivalités horizontales qui en découlent. Zemmour dit ce moment où la bourgeoisie supérieure adopte à son tour les catégories de la domination qu'avait intégrées à ses dépens une partie de la France périphérique. Face à ce renversement d'alliance sociologique, les antiracistes sincères ne comprennent pas que leur heure est passée. Leurs beuglements désormais les ridiculisent. Ils sont comme ces ultras qui n'avaient "rien appris, rien oublié" à leur retour de Coblence.
La dialectique racisme/antiracisme démontre que le Politique n'est pas le champ du réel et du concept mais celui de la performativité du langage. Ami/ennemi, supérieur/inférieur, paix/guerre... ces sortes de choses n'existent pas en dehors des systèmes de représentations croisées qui les génèrent et qu'elles génèrent. C'est pourquoi il est si difficile de construire un discours sur le Politique qui ne coure le risque d'être absorbé aussitôt à l'intérieur de son objet d'étude et de produire des tensions qui ne se résolvent à leur tour dans de nouvelles représentations. L'antiracisme et le racisme du riche. Le racisme est l'antiracisme du pauvre.
Ne pas être raciste ne signifie pas être antiraciste. Ne pas être antiraciste ne signifie pas être antiraciste.Dans le champ de la représentation, la négation d'une négation n'est pas une affirmation mais la poursuite de la négation par glissement relatif du réel.
samedi 2 octobre 2021
DU LANGAGE (1) - FASCISME ET ANTIFASCISME
vendredi 1 octobre 2021
LE POIDS DES MOTS
RENE GIRARD, LA CRECHE ET NOUS
Contrairement à ce que laissent supposer les formes plus ou moins pathologiques de ses contrefaçons contemporaines, le sacré n'a jamai...
-
Aux enfants de Palestine [Je reprends ici l'essentiel de ce que j'ai écrit depuis la sortie de "Tragique Espérance". M...
-
Sortie août 2023 25 € (franco de port) - 298 pages Se procurer l'ouvrage, obtenir un bon de commande : bgirard.clgbogny@gmail.com (cliqu...
-
Ce livre ne se veut ni un brûlot, ni un pamphlet. Il ne contient aucune révélation, aucun scandale, aucune affirmation fracassante. Il se co...