mercredi 27 octobre 2021

LE RECIT DE NOTRE IMPUISSANCE

Contrairement à ce qu'a laissé sous-entendre un récent épisode de télé-réalité ("Zemmour au pays des "boucheries musulmanes""), les banlieues ne sont pas des territoires qu'une "civilisation étrangère" aurait colonisés et dont l’État se serait absenté par faiblesse. Bien au contraire, ce sont des territoires dont les habitants ont été réduits à un tel degré d'impuissance politique que la domination de l’État peut s'y exercer sans avoir à y assurer en contrepartie aucun des services publics qui la rendent acceptable dans le droit commun (instruction, santé, sécurité, justice...). Si les banlieues sont bien la poursuite de la colonisation par d'autres moyens, c'est donc au sens exactement opposé de celui où l'entendent les identitaires. Il faut comprendre ce phénomène comme un mouvement géographique du Capital qui ne cesse de concentrer ses espaces de commandement, réduits à quelques quartiers centraux des grandes métropoles mondiales, et d'étendre à l'inverse les territoires sur lesquels il déploie sa logique radicalement prédatrice de terre brûlée et d'extermination des écosystèmes.

Par conséquent, de même que la "décolonisation" servit naguère à masquer l'extension du système colonial à de nouveaux territoires, de même aujourd'hui le système d'apartheid qui divise la France en métropoles, banlieues périurbaines et périphéries rurales paraît au Capital une concession trop importante et trop coûteuse au bien-être des populations. Il faut que le territoire entier bascule dans la "densité heureuse" d'un seul et unique camp de concentration numérisé. 
 
Dès lors, les même causes produisent les même effets. A chaque étape du processus, des catégories sociales qui gravitaient à proximité de l'orbite centrale et s’enorgueillissaient d'en épouser les intérêts, sont brusquement aspirées par une force centrifuge qui les rapproche de catégories dont elles étaient protégées jusque là par un abyme symbolique infranchissable. Le processus d’indifférenciation, au lieu d'être sublimé dans une aspiration révolutionnaire réconciliatrice, déclenche une cascade de rivalités mimétiques. L'ouvrier blanc, affolé par la proximité de l'immigré algérien, se met à voter FN. C'est le "moment Le Pen". Trente ans plus tard, précarisée à son tour par un mouvement de globalisation qui l'oblige à se saigner aux quatre veines pour pouvoir continuer à se loger dans le centre de Paris dans des conditions qui renvoient à la domesticité des temps haussmanniens, une partie de la bourgeoisie supérieure se met à haïr ces "gens qui ne sont rien" et auxquels elle ressemble de plus en plus. C'est le "moment Macron".
 
Enfin, Zemmour vient. Il fusionne ces pulsions dans un cocktail improbable formé par un tiers de "grand remplacement", un tiers de "le travail, c'est la santé" et un tiers de "le passe sanitaire, ça ne me dérange pas". Le "macro-lepénisme", théorisé par Emmanuel Todd dès 2018, s'est trouvé sa figure iconique. 
 
Sous les traits de ce singulier personnage, l'identitarisme dévoile sa véritable fonction : c'est le récit antipolitique du déclassement, le discours pompeux de notre impuissance collective.

mardi 12 octobre 2021

DU LANGAGE (3) - LA MÉMOIRE ET LE SENS

Les révisionnistes pensent que la mémoire de la Seconde Guerre mondiale est posée sur le réel par des individus qui l’instrumentalisent à des fins de domination. Ils infèrent de là qu'il faut remplacer une Mémoire par une autre Mémoire. Une Mémoire de méchants par une Mémoire de gentils.

Mais ce n'est pas du tout comme cela que le problème se pose. La mémoire de la Seconde guerre mondiale est un récit collectif par lequel une société traumatisée par l'expérience qu'elle a vécue tente de la réécrire sous la forme d'un choc exogène qui l'exonère de sa propre responsabilité, qui en fasse autre chose qu'un séisme engendré par la tectonique de ses propres plaques. On a fait d'Hitler l'incarnation d'un "mal absolu", une figure biblique descendue des nuées, parce qu'on n'a pas voulu voir en face qu'il était le résultat historique de nos propres contradictions et que nous avions donné à voir, entre 1940 et 1945, d'Auschwitz à Hiroshima, de Stalingrad aux plages de Normandie, le Capital à l'état nu, le Capital dépouillé de tous les oripeaux "conservateurs" ou "humanistes" par lesquels nous aimons à dissimuler sa nature intrinsèquement criminogène et meurtrière. Là où le révisionniste croit prendre le contre-pied, il fait exactement la même chose. La mythologisation dont Hitler a fait l'objet n'a pas consisté à lui attribuer six millions de morts au lieu de trois-cents mille ou de zéro. La mythologisation d'Hitler a consisté à en faire le bouc-émissaire de notre propre crime ("notre" au sens fort, "notre" au sens où nous sommes, que nous le voulions ou non, les membres consentants de cette conjuration). En pinaillant sur des chiffres, le révisionniste cherche à transformer le bourreau en victime et les victimes en bourreaux. Puisque ce n'est pas Hitler LE Mal, c'est donc, comme ont voulu le croire les contre-révolutionnaires du XIXème siècle, que ce sont les Juifs (Mammon, l'argent, la banque...). Le révisionniste substitue à une mythologie à une autre mythologie, dans un contexte postchrétien où le statut de bouc-émissaire, dès lors qu'il fait l'objet d'un consensus, a valeur d'absolution. Donc si c'est Hitler le bouc-émissaire c'est que c'est lui l'innocent, et ce sont ses accusateurs qui sont les coupables.

Seulement, le crime que "nous" avons collectivement commis (nous, l'Occident, dont nous sommes si prompts à revendiquer la supériorité face à toutes les autres civilisations), ce crime, donc, est si énorme que toutes les formes de récit mythologique que nous tentons d'écrire pour en dissimuler le caractère endogène sentent trop la colle et le carton-pâte. C'est trop gros, ça transpire et ça dégouline de tous les côtés. C'est pourquoi il faut tant de béquilles policières et mémorielles pour que ça tienne debout. Et c'est pourquoi aussi le dialogue est impossible. Ce n'est pas parce que nous faisons face à un adversaire extrêmement puissant, à une bête immonde sans cesse sur le retour - "Hitler" pour les uns, l'"hydre judéo-maçonnique" pour les autres. C'est parce que nous nous tenons tous par la barbichette d'un mensonge qui a de plus en plus de mal à nous faire tenir ensemble. Plus nous prenons au sérieux les mensonges par lesquels nous croyons devoir nous opposer moins nous arrivons à porter ensemble ce qui nous réunit - ce désir maladif de pérenniser le Capital. Et moins nous arrivons à porter ensemble ce qui nous réunit plus nous devons nos forcer à prendre au sérieux les mensonges par lesquels nous croyons nous opposer.

Que cherchent donc à dire ceux qui affirment, par exemple, que les "chambres à gaz" n'ont pas existé ? Je pose l'hypothèse suivante : sous les apparences trompeuses d'un hyper-criticisme historique, ce propos n'a aucune autre portée que le champ performatif de sa propre réception. C'est comme une bombe posée sous le siège d'un métro à l'heure de pointe. Il a pour fonction d'empêcher le dialogue. Cette situation, qui revêt les apparences d'une opposition radicale, reflète en réalité un processus d'indifférenciation dont découle précisément la violence.  En cela, la figure de "Satan" ("l'accusateur"), qui renvoie à celle de "diabolos" ("qui divise"), me paraît d'une actualité brûlante. Elle ne met pas seulement en jeu la morale, mais la possibilité de continuer à faire émerger un sens à partir du langage.

DU LANGAGE (2) - RACISME ET ANTIRACISME

La complexité de l'objet "racisme" tient au fait qu'il se présente à la fois comme positivité discursive ("je suis raciste parce que...", "je ne suis pas raciste mais...") et comme objectivation d'une subjectivité présumée ("... donc tu es raciste"). Sous quelque côté qu'on l'observe, le racisme est une construction imaginaire qui a pour réalité les effets performatifs de son énonciation, variables selon le statut de l'énonciateur.

Le racisme des dominants a cette propriété étonnante de produire de la domination sans être perçu par ses victimes autrement que sous la forme d'une réalité désirable mais qu'il n'est pourtant pas possible de nommer comme telle : des îlots ethniquement homogènes surprotégés par la police, où la présence colorée constitue l'expression matérielle de la domesticité (bonnes, gardes d'enfants...), et où se concentre l'essentiel des leviers du pouvoir. Le racisme des dominants se confond avec la réalité qu'il génère et n'a pas besoin de sortir des marges fluctuantes d'un non-dit communément partagé.

A l'inverse, le racisme des dominés, qui exprime l'adhésion mimétique de ses victimes à la logique oligarchique, produit de l'auto-servitude parce qu'il n'a pas les moyens de se traduire dans le réel autrement que par des rivalités horizontales qui occultent le racisme oligarchique. C'est ainsi qu'il faut comprendre l'antiracisme institutionnel. Il fait retomber la responsabilité du racisme sur les populations périphériques asservies, qui acceptent de donner le change en réclamant "la France aux Français". L'antiracisme, au fond, n'est rien d'autre qu'un racisme ésotérique qui permet à l'oligarchie de perpétuer la violence de classes dans un contexte post-colonial marqué par l'incapacité du récit patriotique traditionnel, dirigé contre l'ennemi extérieur, à mobiliser les masses au service de leur propre aliénation. C'est comme si, en 1914, les Français et les Allemands avaient continué de se battre sous les ordres d'un état-major qui aurait fusionné quelque part entre Paris et Berlin.

Vient Zemmour, qui bouscule cette logique.

Tandis que l'antiracisme permettait de conjuguer avec une grande économie de moyens l'infériorisation culturelle des populations immigrées et le mépris de classe dont étaient traditionnellement victimes les populations autochtone dominées, une partie de l'oligarchie, ou pour mieux dire les franges supérieures de sa clientèle en voie de déclassement, ces fameux "catholiques zombies" dont Emmanuel Todd identifiait la présence massive dans l'armée des "Je suis Charlie", ne croit plus en son propre mensonge. Même si elle en tire encore de substantielles prébendes, elle n'a plus les leviers du Capital. Tout juste accepte-t-elle d'échanger dix ou quinze-mille euros mensuels en échange de "bullshit jobs" qui expriment la soumission de l'"État profond français" en tant qu'expression territorialisée de l'hyperclasse mondiale. Cette fraction de l'oligarchie en est réduite à exprimer verbalement ce qu'elle pouvait manifester jusque-là, de manière autrement plus performante, par l’ostension des signes extérieurs implicite de sa supériorité sociale - par exemple : vivre sous digicode dans un quartier boboïsé où l'alibi diversitaire est à portée de fusil de la garde républicaine.  La voilà donc qui se met à parler d'"épuration ethnique" tout en continuant de s'écharper sur les crimes passés du régime de Vichy.

Zemmour incarne cette fraction de l'oligarchie qui dit aux catégories populaires : vous avez le droit d'être racistes avec nous. C'est en ce sens que le moment Zemmour est un moment fasciste. En disant, ou en laissant dire, que certains quartiers sont victimes d'"épuration ethnique", Zemmour occulte le fait que la ségrégation ethnique du territoire français résulte directement ou indirectement de la géographie oligarchique et non pas des rivalités horizontales qui en découlent.  Zemmour dit ce moment où la bourgeoisie supérieure adopte à son tour les catégories de la domination qu'avait intégrées à ses dépens une partie de la France périphérique. Face à ce renversement d'alliance sociologique, les antiracistes sincères ne comprennent pas que leur heure est passée. Leurs beuglements désormais les ridiculisent. Ils sont comme ces ultras qui n'avaient "rien appris, rien oublié" à leur retour de Coblence.

La dialectique racisme/antiracisme démontre que le Politique n'est pas le champ du réel et du concept mais celui de la performativité du langage. Ami/ennemi, supérieur/inférieur, paix/guerre... ces sortes de choses n'existent pas en dehors des systèmes de représentations croisées qui les génèrent et qu'elles génèrent. C'est pourquoi il est si difficile de construire un discours sur le Politique qui ne coure le risque d'être absorbé aussitôt à l'intérieur de son objet d'étude et de produire des tensions qui ne se résolvent à leur tour dans de nouvelles représentations. L'antiracisme et le racisme du riche. Le racisme est l'antiracisme du pauvre. 

Ne pas être raciste ne signifie pas être antiraciste. Ne pas être antiraciste ne signifie pas être antiraciste.Dans le champ de la représentation, la négation d'une négation n'est pas une affirmation mais la poursuite de la négation par glissement relatif du réel.

 

samedi 2 octobre 2021

DU LANGAGE (1) - FASCISME ET ANTIFASCISME

Ma volonté de parler à tout le monde en même temps, de construire un discours unifié qui permette à chacun de réfléchir à partir de son propre point de vue, postule que le langage constitue le champ performatif de l’émancipation. Elle est renforcée par la crise actuelle, dont la dimension systémique ne rend pas possible un accord entre les dissidents à l'intérieur du paradigme existant. Elle nécessite de forger le nouveau paradigme à l'intérieur duquel les désaccords seront à nouveau possibles. Redoutable projet dont il résulte, pour l'instant, davantage de malentendus que d'unité. 
 
Ainsi de mon utilisation du terme "fasciste" : elle me met à dos bien des amis "souverainistes" qui voient dans Zemmour une planche de salut, sans pour autant me réconcilier une "gauche" pour qui la simple mention du mot "frontière" renvoie aux années 30. 
 
Et pourtant ! Si je descends de l'Olympe des Idées pour mettre des figures derrière les mots, que vois-je ? Des personnes que révulse ou inquiète l'ordre existant et que sa présente radicalisation amène à formuler bien des diagnostics communs. Faut-il donc renoncer à toute cette énergie ? La laisser se perdre dans des compartiments étanche où elle se fragmente et s'étiole ?
 
"Cent fois sur le métier, remettez votre ouvrage", dit le poète... Je vais donc, une fois de plus, repartir en quête de ce point fixe qui ne réduit pas nos désaccords mais les inscrivent dans un espace de compréhension commun. 
 
L'utilisation du terme "fasciste" pour décrire le "moment Zemmour" (et non, faut-il le préciser, Zemmour lui-même en tant que personne) ne signifie pas que j'épouse les lubies vaporeuses d'un "antifascisme" dont il est de plus en plus difficile à discerner s'il est une réponse à l'autoritarisme gouvernemental ou s'il constitue l'ultime cordon de police entre les dominants et les dominés. Mon opposition résolue à la posture identitaire ne fait pas de moi un négateur des phénomènes migratoires. Je ne prétends pas non plus qu'ils soient une source d'enrichissement réciproque ni que la "francophonie" ou la "créolisation" suffisent à y apporter, par elle-même, une réponse globale. Le "grand déménagement du monde" est une mise en servitude systémique à laquelle il convient de mettre fin.
 
Par ailleurs, au risque d'en faire hurler quelques-uns, je comprends ce que le fascisme, cette "troisième voie" qui voulait surmonter conjointement l'"impasse libérale" et l'"impasse socialiste" dans une communauté organique qui serait le lieu d'une solidarité réelle entre des individus, peut avoir de séduisant. Je comprends aussi ce que peut avoir de révoltante l'utilisation de l'adjectif "fasciste" par des gens qui ont fait de l'"antifascisme" un brevet d'honorabilité pour masquer à quel point ils s'engraissent de l'esclavagisme contemporain... 
 
Je sais tout cela... Ô combien !
 
Mais justement. Si je ne le savais pas, je ne risquerais pas l'emploi de cet adjectif dont l'occurrence peut oblitérer à elle-seule la signification de tout un texte. "Il emploie le terme fasciste ? C'est donc que c'est un opposant embourgeoisé, un "prof" rattrapé par l'idiosyncrasie gauchiste de sa classe sociale et qui cherche à composer avec l'anti-fascisme dominant".
 
Je prends le risque de heurter pour donner envie aux héros de la pensée, ceux qui sont capables de mettre à distance leurs propres représentations, de faire un pas de côté pour essayer de me comprendre. Ils verront alors que je n'emploie pas ce terme au hasard, que j'en propose une définition qui sans aucun doute mérite d'être contestée mais qui, du moins, ne saurait être réduite au remploi opportuniste d'un poncif à la mode.
 
Voici ce dont le fascisme est le nom, par-delà l'extrême variété des ses formes : c'est une externalité négative du Capital dont le Capital est contraint de se saisir positivement pour surmonter une phase aiguë de ses contradictions internes. 
 
Par exemple, le Capital s'entretient du mythe de la concurrence et du libre marché. Or il ne cesse de produire des phénomènes de concentration monopolistique qui entravent les conditions de son propre développement. Le bolchevisme, collectivisation autoritaire, constitue le radeau de fortune de cette accumulation monopolistique. Parodiquement repeint en "communisme", le Capital survit dans sa capsule sous sa forme la plus concentrée avant d'être relâché, tout ragaillardi, dans la Russie mafieuse puis nationaliste des années 1990-2000.
 
De même le Capital prétend évacuer les horreurs de la guerre dans les horizons radieux et universels du doux commerce. Ce faisant, il sape inexorablement les liens réels du don et du contre-don qui structurent toutes les communautés humaines depuis leur sédentarisation au Néolithique. En les noyant dans "les eaux glacées du calcul égoïste" et en détruisant tous les mécanismes anthropologiques de pacification, il produit par décompensation des phénomènes d'identification pathologiques qui s'expriment sur le champ de bataille de Verdun puis se cristallisent sous la forme de régimes militarisés et/ou racistes tels que ceux de l'Italie fasciste, de l'Espagne franquiste ou de l'Allemagne nazie.
 
Je soutiens la thèse que la crispation sur une variation conjoncturelle du signifiant fasciste (qu'elle s'opère sous la forme d'une identification positive ou négative, méliorative ou péjorative) permet d'en occulter le signifié, et par conséquent l'actualité brûlante. 
 
Cette thèse, enracinée dans la lecture de Bernanos et de Weil, découle de leur expérience personnelle du fascisme. Je ne plaque pas le fascisme sur la situation actuelle comme si je cherchais à faire survivre dans le présent des conflictualités passées. Je désigne, sous les accidents d'une terminologie historique, une substance sociale et politique qui me paraît toujours à l’œuvre. Le pari est risqué puisque l'antifascisme contemporain continue à déployer ses effets comme récit auto-justificatif de la société libérale. Il me semble pourtant que, bien comprise, elle délimite le champ conceptuel d'une réconciliation possible entre tous les opposants sincères au Capital : aussi bien ceux qui se déclarent fascistes par nostalgie de la "troisième voie", que ceux qui se déclarent "antifascistes" par inquiétude des dérives autoritaires dont le "macro-lepénisme" constitue l'une des expressions occidentales les plus spectaculaires. 
 
S'opposer au Capital en tant que rapport de production, ce n'est ni s'emparer de ses externalités négatives comme réponse à la pathologie sociale qui les a engendrées, ni se contenter de combattre ces externalités négatives comme si elles constituaient l'essence du Capital et que, par négation de la négation, on en venait à réhabiliter certaines des mythologies du Capital pour faire pièce à ses modes d'expression... fascistes.
 
Ce n'est pas parce que, des décennies durant, on a crié "Au loup !" à tout propos et hors de propos, que le Loup n'existe pas, qu'il faut le confondre avec le chasseur, ou bien qu'il est devenu la grand-mère du petit chaperon rouge. 
 
La prestidigitation capitaliste est toujours à l’œuvre. Il ne faudrait pas que son prochain tour de frégolisme nous laisse à nouveau stupides et impuissants.

vendredi 1 octobre 2021

LE POIDS DES MOTS

On m'a beaucoup reproché ces derniers temps de sombrer dans un pessimisme démobilisateur, voire de me réfugier dans une position de surplomb d'où je paraissais mépriser le peuple. Qui étais-je pour décréter que Nous est mort ? Avais-je payé d'un œil ou d'une main le droit de le dire ?
 
Mauvais procès. Je ne méprise personne. Je cherche juste à dévoiler le monde de représentations partagées, la somme de consentements, qui ont rendu "ça" possible. C'est Bernard Friot qui faisait remarquer à quel point les travailleurs avaient perdu une bataille décisive quand ils ont laissé s'installer la notion de "demandeur d'emploi", abandonnant à l'employeur le bénéfice de l'"offre". A quel point, aussi, nous forgeons nos chaînes à chaque fois que nous louchons sur le "net" de nos salaires, oubliant que le "brut" est ce que nous avons arraché à la cupidité du Capital - notre cupidité - pour le mettre à l'abri du Marché et rendre un "Nous" possible.
 
Ces renversements langagiers que nous avons fait nôtres ont produit la réalité dans laquelle on peut monnayer un emploi contre une injection. On trouve ça pénible, à la rigueur on trouve ça révoltant, mais ça n'a plus rien d'absurde. Ce n'est plus de l'ordre du 2+2=5. Le travailleur a intégré sa position d'obligé. Il a admis que le poste de travail était la récompense de son obéissance. Il a oublié qu'il était seul producteur de richesses.
 
Les mots ne sont pas un luxe réservé aux intellectuels.
 
Les mots que nous avons perdus sont le récit de notre aliénation.
 
La formulation du choc que nous avons subi, mieux que la haine muette où il nous a laissé d'abord, nous réajuste avec le réel et nous remet en position d'écrire notre propre récit.
 
Le deuil de nos préjugés est la page blanche de notre émancipation.
 
On ne rallume pas le feu avec les cendres.

RENE GIRARD, LA CRECHE ET NOUS

  Contrairement à ce que laissent supposer les formes plus ou moins pathologiques de ses contrefaçons contemporaines, le sacré n'a jamai...