samedi 29 mai 2021

Je crains qu'on ne confonde les vers sur le cadavre avec la cause de la mort. Il y a bien longtemps que le peuple a renoncé à sa puissance et consenti à son asservissement (1992, 2005). Les phénomènes dont on s'inquiète (tribalisme entropique, anomie violente, désintégration "inclusive" du langage...) ne sont qu'une chute automnale de feuilles mortes, une désarticulation d'organes que plus aucun principe vital ne maintient ensemble. Tels qui se croient à l'origine de ce "cancel" ou de ce "reset" ne sont que les remous d'une dépression atmosphérique. Et tels qui s'imaginent y résister ne font qu'y opposer l'évanescence de leurs nostalgies conservatrices...

L'identité et la souveraineté sont une seule et même chose : c'est la vie d'un être collectif en tant qu'elle se projette sur le monde.

 

Je ne pense pas qu'il faille envisager le problème de la France en terme d'assimilation. Bien plus qu'un projet politique, trop souvent magnifié, et dont l'abandon expliquerait l'état de déréliction où nous sommes, l'assimilation est un processus vital dont on ne perçoit l'existence, à la manière d'une maladie sur son organe, que lorsqu'il dysfonctionne. L'assimilation n'a plus de sens quand, déjà, le cadavre de notre corps social a commencé de pourrir. Assimiler, soit, mais qui, et à quoi ? Aux "valeurs de la République" ? Mais la République n'est plus que le nom qu'on donne, faute de mieux, à un cloaque d'intérêts sordides qui cherchent à se préserver en pleine déroute. A notre identité ? Mais l'identité n'est pas un bagage que l'on trimballe avec soi, un objet inerte dont on peut revendiquer la possession (ou la perte) une fois pour toutes. C'est une dynamique, qui est la dynamique même de la vie. Or tout est mort à l'instant nous parlons. Il n'y a plus ni allogènes ni autochtones. Il n'y a plus qu'une grande bouillie indifférenciée sur laquelle règne la marchandise. Il ne s'agit donc plus d'assimiler. Ce qu'il faut, c'est susciter un sursaut autour d'un projet de grandeur, de justice et d'indépendance. Puiser ce qu'il reste d'énergie dans notre patrimoine historique pour refonder un nouveau pacte social.
L'Outre-Mer, par exemple, cette butte témoin de l'universalisme français dans ce qu'il a eu de pire et de meilleur. C'est un levier de notre réconciliation historique autour d'un projet d'indépendance qui aurait vocation à rassembler, sur une ligne d'affrontement avec le capitalisme, les peuples qui souhaitent demeurer non-alignés. L'Outre-Mer est le point géographique à partir duquel nous pouvons renouer avec notre histoire gaullienne tout en rachetant sa part la plus sombre - car De Gaulle, ce n'est pas seulement "Vive le Québec libre !", c'est aussi "Colombey-les-deux-Mosquées", première expression d'un séparatisme ethno-confessionnel qui a jeté un soupçon terrible sur les arrière-pensées de la décolonisation et conduit à la situation où nous sommes rendus aujourd'hui, en plein cœur de notre territoire métropolitain. Si nous ne sauvons pas notre Outre-Mer, si nous ne le traitons pas comme un joyau qui semble avoir miraculeusement survécu à nos reniements pour nous donner matière à racheter le massacre de Sétif et la farce de Mostaganem, nous ne sauverons pas la Seine-Saint-Denis et nous serons condamnés, comme certains s'y échinent à force de propos incendiaires et de grandes proclamations performatives, à rejouer la bataille d'Alger à La Courneuve.
Qu'on ne me parle pas de "biologie" pour justifier cette échéance, comme si celle-ci s'originait ailleurs que dans les fantasmes de ceux qui l'ont imaginée. L'ethnique procède du social et non l'inverse. C'est la volonté qu'ont certains hommes de vivre ensemble, en un quelconque point du globe, qui détermine un certain nombre de traits particuliers, y compris sur le plan biologique, une fois que les siècles ont consacré ce projet. A proprement parler, il ne s'agit pas d'un "contrat social". C'est une dynamique historique auto-réalisatrice dont le processus peut prendre des siècles et qui ne s'achève qu'au moment où le peuple, dont elle constitue le mouvement vital, a cessé d'exister.
L'Outre-Mer n'est pas, d'abord, un enjeu stratégique dont l'abandon ou la conservation résulterait d'un savant calcul coût-bénéfices. Tandis que Mayotte, notre perle des Comores, et la Guyane, notre première frontière terrestre, sont peu à peu transformées en décharges du Tiers Monde, tandis que la Polynésie est abandonnée, avec son gigantesque morceau d'océan où ne patrouillent plus que deux misérables rafiots, à la cupidité d'une oligarchie locale incompétente, tandis que la Nouvelle Calédonie est sur le point d'être livrée à la Chine au terme d'un tragique pas de deux entre un État dépassé et des indépendantistes inconscients du vrai colonialisme à venir, l'Outre-Mer questionne rien moins que notre volonté de persévérer dans l'être. C'est un enjeu politique, au sens le plus radical du terme.
 

 

mercredi 19 mai 2021

Le conflit israélo-palestinien est une tragédie collatérale de l'universalisme occidental, dont Israël constitue (de l'aveu-même de ses plus ardents défenseurs) un front pionnier. Nous vivons un drame intérieur qui mène les uns (plutôt "l'extrême droite") à se saisir de l'islam, les autres (plutôt "l'extrême gauche") d'Israël lui-même, pour s'en faire, chacun dans le miroir de l'autre, un bouc émissaire à sa propre violence. Se trouve ainsi sanctionnée par un échec flagrant la prétention à fonder en Raison une "gouvernance mondiale" qui transcende politiquement toute forme de particularisme. Je dis "plutôt" car on observe entre ces deux camps un mouvement d'indifférenciation qui aggrave un peu plus la violence des affrontements. J'en veux pour preuve qu'une très grande partie de l'extrême-gauche est en train de basculer à la droite de l'extrême droite après avoir constaté que la figure du "bon sauvage" qu'elle s'était forgée lui échappe et se retourne contre elle.

En d'autres termes, le conflit israélo-palestinien n'est pas un conflit entre deux peuples dont l'un serait "gentil" et l'autre "méchant". C'est une représentation historico-géographique, au lieu même où il a commencé, du drame métaphysique qui transperce le cœur de l'Occident depuis deux-mille ans.
Par conséquent, le conflit israélo-palestinien est un conflit fondateur qu'il est vain de vouloir ou de ne pas vouloir l'importer "chez nous". C'est nous qui avons écrit la pièce et distribué les rôles...
Il faudrait juste avoir l'humilité de le reconnaître et songer aux milliers de victimes innocentes qui n'ont rien demandé à personne et qui en paient le prix, singulièrement dans l'enfer de Gaza. Certains, je trouve, font preuve de beaucoup de légèreté à ce sujet...

RENE GIRARD, LA CRECHE ET NOUS

  Contrairement à ce que laissent supposer les formes plus ou moins pathologiques de ses contrefaçons contemporaines, le sacré n'a jamai...