Je ne pense pas qu'il faille envisager le problème de la France en terme d'assimilation. Bien plus qu'un projet politique, trop souvent magnifié, et dont l'abandon expliquerait l'état de déréliction où nous sommes, l'assimilation est un processus vital dont on ne perçoit l'existence, à la manière d'une maladie sur son organe, que lorsqu'il dysfonctionne. L'assimilation n'a plus de sens quand, déjà, le cadavre de notre corps social a commencé de pourrir. Assimiler, soit, mais qui, et à quoi ? Aux "valeurs de la République" ? Mais la République n'est plus que le nom qu'on donne, faute de mieux, à un cloaque d'intérêts sordides qui cherchent à se préserver en pleine déroute. A notre identité ? Mais l'identité n'est pas un bagage que l'on trimballe avec soi, un objet inerte dont on peut revendiquer la possession (ou la perte) une fois pour toutes. C'est une dynamique, qui est la dynamique même de la vie. Or tout est mort à l'instant nous parlons. Il n'y a plus ni allogènes ni autochtones. Il n'y a plus qu'une grande bouillie indifférenciée sur laquelle règne la marchandise. Il ne s'agit donc plus d'assimiler. Ce qu'il faut, c'est susciter un sursaut autour d'un projet de grandeur, de justice et d'indépendance. Puiser ce qu'il reste d'énergie dans notre patrimoine historique pour refonder un nouveau pacte social.
L'Outre-Mer, par exemple, cette butte témoin de l'universalisme français dans ce qu'il a eu de pire et de meilleur. C'est un levier de notre réconciliation historique autour d'un projet d'indépendance qui aurait vocation à rassembler, sur une ligne d'affrontement avec le capitalisme, les peuples qui souhaitent demeurer non-alignés. L'Outre-Mer est le point géographique à partir duquel nous pouvons renouer avec notre histoire gaullienne tout en rachetant sa part la plus sombre - car De Gaulle, ce n'est pas seulement "Vive le Québec libre !", c'est aussi "Colombey-les-deux-Mosquées", première expression d'un séparatisme ethno-confessionnel qui a jeté un soupçon terrible sur les arrière-pensées de la décolonisation et conduit à la situation où nous sommes rendus aujourd'hui, en plein cœur de notre territoire métropolitain. Si nous ne sauvons pas notre Outre-Mer, si nous ne le traitons pas comme un joyau qui semble avoir miraculeusement survécu à nos reniements pour nous donner matière à racheter le massacre de Sétif et la farce de Mostaganem, nous ne sauverons pas la Seine-Saint-Denis et nous serons condamnés, comme certains s'y échinent à force de propos incendiaires et de grandes proclamations performatives, à rejouer la bataille d'Alger à La Courneuve.
Qu'on ne me parle pas de "biologie" pour justifier cette échéance, comme si celle-ci s'originait ailleurs que dans les fantasmes de ceux qui l'ont imaginée. L'ethnique procède du social et non l'inverse. C'est la volonté qu'ont certains hommes de vivre ensemble, en un quelconque point du globe, qui détermine un certain nombre de traits particuliers, y compris sur le plan biologique, une fois que les siècles ont consacré ce projet. A proprement parler, il ne s'agit pas d'un "contrat social". C'est une dynamique historique auto-réalisatrice dont le processus peut prendre des siècles et qui ne s'achève qu'au moment où le peuple, dont elle constitue le mouvement vital, a cessé d'exister.
L'Outre-Mer n'est pas, d'abord, un enjeu stratégique dont l'abandon ou la conservation résulterait d'un savant calcul coût-bénéfices. Tandis que Mayotte, notre perle des Comores, et la Guyane, notre première frontière terrestre, sont peu à peu transformées en décharges du Tiers Monde, tandis que la Polynésie est abandonnée, avec son gigantesque morceau d'océan où ne patrouillent plus que deux misérables rafiots, à la cupidité d'une oligarchie locale incompétente, tandis que la Nouvelle Calédonie est sur le point d'être livrée à la Chine au terme d'un tragique pas de deux entre un État dépassé et des indépendantistes inconscients du vrai colonialisme à venir, l'Outre-Mer questionne rien moins que notre volonté de persévérer dans l'être. C'est un enjeu politique, au sens le plus radical du terme.
 

 

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