Dans le TGV, à deux rangées de la mienne, un professeur corrige ses copies.
Éternue.
Sa voisine, la soixantaine décontractée, la dévisage d'un air subitement courroucé : "Est-ce que vous vous rendez compte ? Vous contaminez tout le wagon et vous ne portez pas de masque ! C'est donc à moi de me protéger de vous !"
Le professeur, interloqué : "Mais Madame, c'est une allergie..."
La covidiste : "Comment puis-je en être certaine ?"
Le professeur : "Si vous êtes stressée à ce point, peut-être pourriez-vous rester à la maison ?"
La covidiste : "Vous savez très bien que je suis dans mon DROIT."
Puis se met à bouder, le masque jusqu'en haut du nez, et ne quitte plus des yeux l'écran de son téléphone portable.
Parler du covidisme à froid, le décrypter comme langage, est une chose.
Rencontrer le covidisme incarné en est une autre.
Il ne faudrait pas que les joies de l'activité intellectuelle, le plaisir esthétique qui consiste à restituer le réel avec des mots, ne fasse, à son tour, écran avec le réel.
Je pourrais dire que la situation est tragique. Mais la médiation du langage et de l'écriture sont nécessaires pour accéder à la sublimation tragique - ou comique. Or c'est précisément la perte du rapport articulé au sens et à l'altérité que raconte cette anecdote ferroviaire. Nous sommes condamnés à utiliser le langage pour raconter quelque chose qui est antérieur à lui. Nous rembobinons dans l'autre sens la pelote déroulée par René Girard.
Ce matin, dans le TGV 6103 en direction de Marseille Saint-Charles, je n'ai pas vu l'esprit du monde passer à cheval sous ma fenêtre. J'ai vu le néant se mettre en boule sur un fauteuil de seconde classe.
Demeurer un homme est un miracle de chaque jour.