DU LANGAGE (2) - RACISME ET ANTIRACISME

La complexité de l'objet "racisme" tient au fait qu'il se présente à la fois comme positivité discursive ("je suis raciste parce que...", "je ne suis pas raciste mais...") et comme objectivation d'une subjectivité présumée ("... donc tu es raciste"). Sous quelque côté qu'on l'observe, le racisme est une construction imaginaire qui a pour réalité les effets performatifs de son énonciation, variables selon le statut de l'énonciateur.

Le racisme des dominants a cette propriété étonnante de produire de la domination sans être perçu par ses victimes autrement que sous la forme d'une réalité désirable mais qu'il n'est pourtant pas possible de nommer comme telle : des îlots ethniquement homogènes surprotégés par la police, où la présence colorée constitue l'expression matérielle de la domesticité (bonnes, gardes d'enfants...), et où se concentre l'essentiel des leviers du pouvoir. Le racisme des dominants se confond avec la réalité qu'il génère et n'a pas besoin de sortir des marges fluctuantes d'un non-dit communément partagé.

A l'inverse, le racisme des dominés, qui exprime l'adhésion mimétique de ses victimes à la logique oligarchique, produit de l'auto-servitude parce qu'il n'a pas les moyens de se traduire dans le réel autrement que par des rivalités horizontales qui occultent le racisme oligarchique. C'est ainsi qu'il faut comprendre l'antiracisme institutionnel. Il fait retomber la responsabilité du racisme sur les populations périphériques asservies, qui acceptent de donner le change en réclamant "la France aux Français". L'antiracisme, au fond, n'est rien d'autre qu'un racisme ésotérique qui permet à l'oligarchie de perpétuer la violence de classes dans un contexte post-colonial marqué par l'incapacité du récit patriotique traditionnel, dirigé contre l'ennemi extérieur, à mobiliser les masses au service de leur propre aliénation. C'est comme si, en 1914, les Français et les Allemands avaient continué de se battre sous les ordres d'un état-major qui aurait fusionné quelque part entre Paris et Berlin.

Vient Zemmour, qui bouscule cette logique.

Tandis que l'antiracisme permettait de conjuguer avec une grande économie de moyens l'infériorisation culturelle des populations immigrées et le mépris de classe dont étaient traditionnellement victimes les populations autochtone dominées, une partie de l'oligarchie, ou pour mieux dire les franges supérieures de sa clientèle en voie de déclassement, ces fameux "catholiques zombies" dont Emmanuel Todd identifiait la présence massive dans l'armée des "Je suis Charlie", ne croit plus en son propre mensonge. Même si elle en tire encore de substantielles prébendes, elle n'a plus les leviers du Capital. Tout juste accepte-t-elle d'échanger dix ou quinze-mille euros mensuels en échange de "bullshit jobs" qui expriment la soumission de l'"État profond français" en tant qu'expression territorialisée de l'hyperclasse mondiale. Cette fraction de l'oligarchie en est réduite à exprimer verbalement ce qu'elle pouvait manifester jusque-là, de manière autrement plus performante, par l’ostension des signes extérieurs implicite de sa supériorité sociale - par exemple : vivre sous digicode dans un quartier boboïsé où l'alibi diversitaire est à portée de fusil de la garde républicaine.  La voilà donc qui se met à parler d'"épuration ethnique" tout en continuant de s'écharper sur les crimes passés du régime de Vichy.

Zemmour incarne cette fraction de l'oligarchie qui dit aux catégories populaires : vous avez le droit d'être racistes avec nous. C'est en ce sens que le moment Zemmour est un moment fasciste. En disant, ou en laissant dire, que certains quartiers sont victimes d'"épuration ethnique", Zemmour occulte le fait que la ségrégation ethnique du territoire français résulte directement ou indirectement de la géographie oligarchique et non pas des rivalités horizontales qui en découlent.  Zemmour dit ce moment où la bourgeoisie supérieure adopte à son tour les catégories de la domination qu'avait intégrées à ses dépens une partie de la France périphérique. Face à ce renversement d'alliance sociologique, les antiracistes sincères ne comprennent pas que leur heure est passée. Leurs beuglements désormais les ridiculisent. Ils sont comme ces ultras qui n'avaient "rien appris, rien oublié" à leur retour de Coblence.

La dialectique racisme/antiracisme démontre que le Politique n'est pas le champ du réel et du concept mais celui de la performativité du langage. Ami/ennemi, supérieur/inférieur, paix/guerre... ces sortes de choses n'existent pas en dehors des systèmes de représentations croisées qui les génèrent et qu'elles génèrent. C'est pourquoi il est si difficile de construire un discours sur le Politique qui ne coure le risque d'être absorbé aussitôt à l'intérieur de son objet d'étude et de produire des tensions qui ne se résolvent à leur tour dans de nouvelles représentations. L'antiracisme et le racisme du riche. Le racisme est l'antiracisme du pauvre. 

Ne pas être raciste ne signifie pas être antiraciste. Ne pas être antiraciste ne signifie pas être antiraciste.Dans le champ de la représentation, la négation d'une négation n'est pas une affirmation mais la poursuite de la négation par glissement relatif du réel.

 

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