LE POIDS DES MOTS

On m'a beaucoup reproché ces derniers temps de sombrer dans un pessimisme démobilisateur, voire de me réfugier dans une position de surplomb d'où je paraissais mépriser le peuple. Qui étais-je pour décréter que Nous est mort ? Avais-je payé d'un œil ou d'une main le droit de le dire ?
 
Mauvais procès. Je ne méprise personne. Je cherche juste à dévoiler le monde de représentations partagées, la somme de consentements, qui ont rendu "ça" possible. C'est Bernard Friot qui faisait remarquer à quel point les travailleurs avaient perdu une bataille décisive quand ils ont laissé s'installer la notion de "demandeur d'emploi", abandonnant à l'employeur le bénéfice de l'"offre". A quel point, aussi, nous forgeons nos chaînes à chaque fois que nous louchons sur le "net" de nos salaires, oubliant que le "brut" est ce que nous avons arraché à la cupidité du Capital - notre cupidité - pour le mettre à l'abri du Marché et rendre un "Nous" possible.
 
Ces renversements langagiers que nous avons fait nôtres ont produit la réalité dans laquelle on peut monnayer un emploi contre une injection. On trouve ça pénible, à la rigueur on trouve ça révoltant, mais ça n'a plus rien d'absurde. Ce n'est plus de l'ordre du 2+2=5. Le travailleur a intégré sa position d'obligé. Il a admis que le poste de travail était la récompense de son obéissance. Il a oublié qu'il était seul producteur de richesses.
 
Les mots ne sont pas un luxe réservé aux intellectuels.
 
Les mots que nous avons perdus sont le récit de notre aliénation.
 
La formulation du choc que nous avons subi, mieux que la haine muette où il nous a laissé d'abord, nous réajuste avec le réel et nous remet en position d'écrire notre propre récit.
 
Le deuil de nos préjugés est la page blanche de notre émancipation.
 
On ne rallume pas le feu avec les cendres.

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