Nous n'avons pas à relever le défi de l'héroïsme, mais celui de l’honnêteté. Ne prétendons pas qu'il y a d'un côté des "résistants" et de l'autre des "collabos", comme si nous nous positionnions en surplomb, hors du monde, et que nous jugions le monde. Prenons simplement conscience que nous vivons un moment tragique dans le sens où chacun de nos gestes nous met en situation d'engager en conscience la totalité de notre vie. La zone d’indétermination confortable qui nous permettait de vivre suspendu dans une forme d'apesanteur morale et de nous installer en passager clandestin d'une société malade, cette échappatoire n'existe plus.
Dès lors, je veux regarder en face les dilemmes auxquels nous allons tous être confrontés. Face à des injonctions contradictoires et à des conflits de devoir, notre courage ne se situera pas dans la prétention illusoire de rester "purs", mais dans notre capacité à ne forger aucun alibi métaphysique aux compromis que nous allons nécessairement devoir construire. Ne pas être un rhinocéros ne consiste pas à s'immoler par le feu en un geste auto-sacrificiel qui nous extrairait spectaculairement de la foule, mais, plus simplement, à vouloir continuer de mettre des mots sur les choses. Et, plutôt que de mépriser ceux qui tombent, à rendre grâce pour tous ceux, d'où qu'ils viennent, que l'Histoire aura désignés pour demeurer droit dans la tempête, jusqu'au bout, à leur place, comme des phares en humanité. Point de concours de vertu : leur force exprime une communion qui récapitule tout ce qu'il y a d'humain en l'homme depuis l'origine du monde. Ils n'en sont pas les propriétaires, mais les dépositaires. Nous les portons, et ils nous portent.
D'ailleurs, célèbres ou anonymes, nous ne savons pas qui ils sont : peut-être, au hasard d'une rencontre ou d'une parole, toi pour moi aujourd'hui, moi pour toi demain ?
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