Cette épidémie met à jour ce qui est au fond du cœur des gens, indépendamment de tous les appareils rhétoriques destinés à brouiller les pistes. Elle agit en révélateur, comme le tranchant d'un glaive.
Ainsi
de l'extrême-droite, larbinat milicien de la Bourgeoisie, éternellement
chargée de vider les poubelles de l'Histoire et d'endosser la
responsabilité des causes perdues : ce fut l'OAS terminant la politique
sanguinaire de Mitterrand en Algérie ; ce fut Doriot et Darnand décorant
d'un vernis de croisade anti-bolchevique la veulerie rad-soc de Pétain ;
ce sont maintenant les identitaires dans la roue de Macron pour vanter
l'esprit de discipline et de sacrifice, préludant dans leur esprit au
retour des ratonnades. De génération en génération, la même histoire se
répète, tragique, farcesque et nauséeuse....
Honte
et vertige de vivre une telle époque. Sensation d'avoir pris un coup
sur la tête et d'en être groggy. Est-ce que nous dormons ? Ou est-ce
bien la réalité telle qu'elle se déploie sous nos yeux ébahis ?
Quand
Emmanuel Todd forgea, après les manifestations parodiques de janvier
2015 (de la pure haine anti-banlieue repeinte en "défense de la liberté
d'expression"), le concept de "catholique zombie", puis, en pleine
dérive policière contre les gilets jaunes, celui de "macro-lepénisme",
il était passé au mieux pour un fou, au pire comme un dangereux
complotiste passé du côté des "rouges-bruns". Une fois de plus, il avait
vu juste. L'extrême-droite à la Camus ne fait que dire tout haut ce que
la bourgeoisie a toujours pensé tout bas mais prenait soin d'enrober
sous une moraline à visée exotérique. Quand la situation n'est plus sous
contrôle, on lâche les chiens... Le Figaro se confond avec Camus, Ménard épouse La Croix et peut-être que l'étudiant nationaliste paupérisé verra bientôt dans Marlène Schiappa la résurrection de Leni Riefenstahl (on ne saurait dire, au juste, pour qui la comparaison est la plus désobligeante).
Les
identitaires sont à l'identité ce que les traditionalistes sont à la
tradition ou les marxistes à la pensée de Marx : d'indigestes
caricatures qui ont pour fonction d'étayer un consensus social de plus
en plus branlant et dont il faut absolument s'émanciper pour accéder à
la vérité du concept. Il faut repenser à nouveaux frais l'articulation
entre le local et le global, entre l'économique et le culturel, entre
l'enracinement et l'émancipation, entre l'identité et l'universel, entre
la liberté et la souveraineté : un défi immense et passionnant !
Bien
sûr, il y a un jeu très complexe entre les déterminations collectives
et les déterminations individuelles, qui produit une infinité de nuances
et de contradictions. Il faudrait, par exemple, opérer une distinction
entre l'extrême-droite en tant qu'habitus social, souvent issue des
rangs d'une gauche dépassée et radicalisée par les conséquences de sa
propre politique libérale-libertaire, et l'extrême-droite subjectivement
vécue comme la défense d'un imaginaire aristocratique enraciné dans une
tradition familiale : cette extrême-droite-là, une fois dégagée par la
force des choses de l'habitus bourgeois qui en fait le véhicule d'une
pure violence de conservation sociale, fournit souvent les premiers
bataillons de résistants (cf. juin 40).
La
sociologie ne doit donc pas nous enfermer dans des caricatures qui
empêcheraient des convergences salutaires en produisant performativement
ce qu'elles dénoncent (par exemple en renvoyant du côté du fascisme
toute expression émancipatrice et sincère d'un patriotisme social), mais
nous affranchir de mécaniques qui risqueraient de nous broyer si nous
n'en avons pas conscience.
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