"LES VRAIS PATRIOTES"
Le macroniste Florian Bachelier a déclaré hier sur CNews que "Robert Ménard était un vrai patriote" - brevet décerné au maire de Béziers pour avoir soutenu le président de la République dans la "crise ukrainienne" et dénoncé le "patriotisme de bazar" de ses opposants.
Cette déclaration est une bombe dont je m'étonne du peu de retentissement qu'elle a eu dans le Landerneau médiatique. C'est pourquoi je la republie ce matin après l'avoir extraite de l'émission à l'occasion de laquelle elle a été tenue.
Précisons que nous avons affaire - excusez du peu ! - au premier questeur de l'Assemblée nationale, député LREM, proche de Richard Ferrand et d'Eric Ciotti (avec qui il a fait passer en 2021 une augmentation de 15% de la dotation d'hébergement mensuelle des députés !), rendant un hommage appuyé, presque gênant, à l'éminence grise de l'"union des droites".
Une telle indifférence, un tel silence, devant ce qu'il semble d'ores et déjà convenu de recevoir comme une évidence me paraissent signifier un tournant politique majeur dont on n'a pas fini d'apprécier les effets.
Beaucoup s'imaginent que la séquence électorale en cours est un champ clos où s'affrontent, selon le point de vue, "des mondialistes et des patriotes" ou "des républicains et des populistes". En réalité, le cycle qui s'ouvre ne va pas permettre de clarifier les enjeux entre "patriotes" et "mondialistes" mais focaliser le débat autour de surenchères patriotardes dans lesquelles beaucoup se flattent un peu vite de voir une "victoire culturelle" remportée par les "enracinés" contre les "déracinés". La France de Ménard et de Bachelier, de Fourest et de Mila, de Roussel et d'Enthoven, n'est plus qu'un cloaque néoconservateur où mille nuances d'extrême droite s'affrontent sur le point de savoir "laquelle est la plus efficace". Paradoxalement, Mélenchon et Le Pen sont les derniers à vouloir porter à bout de bras, contre vents et marées, une scénographie républicaine, à la fois agonistique et unificatrice, dont plus personne ne veut. Je crains qu'ils ne soient condamnés à regarder passer les trains.
Le "parti de l'ordre" ne se vit plus, symboliquement, comme le dépositaire d'une fiction irénique au nom duquel il serait autorisé à se présenter comme le "cercle de la raison". Dans le nouveau paradigme à l'intérieur duquel il cherche à inscrire sa domination, les images de guerre ne sont plus regardées comme les externalités négatives de la "fin de l'Histoire", comme les dégâts collatéraux d'une "guerre sans l'aimer" à laquelle il aurait fallu se résoudre au nom du "devoir d'ingérence". Alors que croit la paranoïa obsidionale de l'oligarchie à mesure que le mode de production sur lequel elle s'appuie court à sa chute, ces images sont vécues (et donc recherchées) comme l'expression-même de l'ordre social.
On ne mesure pas à quel point il y a un désir de violence dans les profondeurs de la sociologie macronienne : un désir de violence sociale qui se prolonge maintenant dans un désir de guerre. Les macroniens ne cherchent plus à s'adresser au "peuple" en continuant à sacrifier le peu de profits qui sont nécessaires à l'entretien d'une telle fiction. Comme en 1848, comme en 1870, ils veulent démontrer qu'ils sont capables de tout pour mettre au pas les "classes dangereuses". Ce que nous percevons comme une désarticulation du discours est compris par les destinataires de leur propagande comme une promotion assumée de leurs intérêts de caste. C'est un parfum de XIXème siècle qui plane sur la "start-up nation", une odeur étrangement mêlée de sang et de naphtaline. Macron c'est Thiers et les Allemands campent toujours à quelques kilomètres de Paris.
En termes schmittiens, la situation peut s'analyser classiquement comme un "retour de l'ennemi". Mais n'allons pas nous faire d'illusion, ni nous tromper de combat : derrière la figure fantasmatique du "russe" ou de l'"arabe", l'ennemi c'est nous.
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