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Affichage des articles du avril, 2023

Au professeur inconnu du TGV 6103

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  Dans le TGV, à deux rangées de la mienne, un professeur corrige ses copies. Éternue. Sa voisine, la soixantaine décontractée, la dévisage d'un air subitement courroucé : "Est-ce que vous vous rendez compte ? Vous contaminez tout le wagon et vous ne portez pas de masque ! C'est donc à moi de me protéger de vous !" Le professeur, interloqué : "Mais Madame, c'est une allergie..." La covidiste : "Comment puis-je en être certaine ?" Le professeur : "Si vous êtes stressée à ce point, peut-être pourriez-vous rester à la maison ?" La covidiste : "Vous savez très bien que je suis dans mon DROIT." Puis se met à bouder, le masque jusqu'en haut du nez, et ne quitte plus des yeux l'écran de son téléphone portable. Parler du covidisme à froid, le décrypter comme langage, est une chose. Rencontrer le covidisme incarné en est une autre. Il ne faudrait pas que les joies de l'activité intellectuelle, le plaisir esthétique qui co...

FEU VERT POUR L'APOCALYPSE

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    "Sur la longiligne rue Victor-Hugo, deux feux à récompense, afin de respecter la vitesse de 50 km/h, viennent d’être installés."   La chose n'est pas nouvelle, mais la façon dont elle est représentée comme s'il s'agissait d'une évidence témoigne d'un basculement anthropologique d'une portée étymologiquement apocalyptique. Le signe ne se conçoit plus comme un chemin vers le sens, il vaut en lui-même comme "punition" ou comme "récompense". Je ne suis plus censé m'arrêter au rouge parce que cet automatisme facilite le passage de quelqu'un d'autre. Désormais, le feu rouge est pourvu d'une signification analogue au "couché !" que l'on interjette à un animal turbulent.   Si l'intelligence artificielle donne l'impression de si bien fonctionner, ce n'est pas parce qu'elle a atteint le niveau de l'intelligence humaine, c'est parce que l'intelligence humaine s'est dégradée elle...

Retour de Corse, Pâques 2023

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C'est à Sartène, une nuit de vendredi saint. La petite cité à flanc de montagne est illuminée comme un marché de Noël. Les pieds entravés, entièrement drapé de la tête au pied, le pénitent rouge traîne sa croix dans un sinistre crissement de chaînes. Toute la Corse s'est donné rendez-vous dans les ruelles qui rayonnent autour de Santa Maria Assunta . Agglutinée aux terrasses bondées des cafés et des restaurants, elle guette l'apparition de la silhouette sans visage. Fendue par la procession, la foule ondule dans son sillage, se disloque ici, se recompose un peu plus loin. Dès que les polyphonies lancinantes se rapprochent, chacun se précipite, brandit son téléphone, tente de trouver la meilleure pose pour capter l'instant. S i on pouvait les observer d'en haut, ces flux et reflux de grappes humaines formeraient l'impeccable chorégraphie d'une nuée d'étourneaux. A hauteur de caméra, la cinématographie généralisée de cette foule par elle-même ne représent...