LA GUERRE SANS L'AIMER

Aucun pictogramme n'avait préalablement alerté les téléspectateurs sur la nature de la scène qui les attendait quand, soudain, la France à table fut gratifiée par Caroline Fourest d'une déclaration que même les franges les plus énervées du marigot néoconservateur s'accordèrent à trouver un peu osée : "On ne peut pas comparer le fait d'avoir tué des enfants délibérément comme le Hamas, et le fait de les tuer involontairement comme Israël".
Aussitôt, pour parer à l'onde de choc que risque de susciter cette pesée des âmes enfantines dont les critères implicites laissent deviner de pénibles sous-entendus, la meute subventionnée des "tweetos" en grève monte au front du scandale et s'empresse de faire bloc autour de sa vestale outragée.
"Contrairement à ce qu’on veut entendre, Caroline Fourest, évidemment, ne fait pas de différence entre les victimes, mais entre ceux qui les tuent", trouve par exemple judicieux de déclarer Raphaël Enthoven. Sans faire preuve d'acharnement excessif, comment ne pas admirer la propension du Gaston Lagaffe de la philosophie bourgeoise à se prendre les pieds dans le tapis chaque fois qu'il s'agit de défendre l'indéfendable ?
Si nul ne contestera qu'au tribunal de la conscience individuelle il est "évidemment" beaucoup plus difficile pour un fanatique de se faire pardonner l’éviscération d'une femme enceinte que pour un soldat régulier, couvert par sa chaîne de commandement, de justifier le largage d'une bombe de 250 kilos, il n'en va pas de même sur un plan collectif. Sous cet angle, il ne s'agit plus de conscience ni de morale, toutes notions qui relèvent de l'intimité des personnes, mais de rapports de force dont l'appréhension exacte demande que l'on se départisse des sidérations de l'instant pour envisager le temps long de l'Histoire : d'un côté, le déchaînement meurtrier de quelques centaines de personnes que le malheur a poussées à bout et que Dieu jugera ; de l'autre, ce processus inouï et systémique qui a conduit un État pourvu de toutes les protections de l'Empire à parquer 2,5 millions de personnes dans des conditions proches de l'enfer. Dès lors, la frontière ne distingue plus des gentils et des méchants, le bien et le mal. Elle sépare des gens qui sont armés et d'autres qui ne le sont pas ; des geôliers et des évadés ; des gens qui ont les moyens de garder les mains propres et d'autres qui sont réduits à se souiller du sang qu'ils ont fait couler. Sur le plan politique, ce ne sont pas les mots qui préexistent à la violence et qui permettent d'en juger les auteurs, c'est la violence dont résultent les distinctions qui permettent de désigner le coupable.
Par conséquent, suggérer que la différence ne se situe pas au niveau des "victimes" mais des "tueurs", ne fait qu'ajouter de l'abject au sordide. Cela revient à expliquer que ce n'est pas l'assassinat de civils qui, de soi, constitue une atteinte à la morale, mais que c'est bien de la force et des armes que l'on possède que découle le pouvoir de qualifier un meurtre de masse en "génocide" (1300 personnes tuées au corps à corps) ou en "bombardement ciblé" (8 ou 9000 personnes écrabouillées sous les décombres de leur maison par un bombardement aérien).
Au stade ultime de ce processus, on en arrive à présenter comme le comble de l'humanisme cette formule atroce : "nous pouvons pardonner aux Arabes de tuer nos enfants mais nous ne pouvons pas leur pardonner de nous forcer à tuer leurs enfants".
Si, dans le champ politique, la morale s'est toujours confondue avec le droit du plus fort, on en vient à regretter le cynisme de nos ancêtres qui, pour être aussi meurtriers que nous, n'avaient pas la même propension à se payer de mots.

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