PROPOSITIONS POUR UN ANTI-ANTISEMITISME RADICAL
Comme je témoignais de ma gêne devant une publication qui prétendait attester de la grandeur d'Israël par la mise en avant d'un pourcentage de prix Nobel supérieur chez les Juifs (supériorité sur quoi ? sur qui ?), je viens d'être traité d'antisémite par un certain Michel Rosenzweig.
Dans le monde de représentations inversées où il nous est donné de vivre, relever des éléments de continuité entre le suprémacisme occidental des années 2020 et la propagande fasciste des années 1920 qui a directement mené à la Shoah mérite immédiatement un procès en sympathies... hitlériennes.
Ce genre de situations vérifie que notre universalisme n'était que le masque d'un tribalisme étendu. La mémoire de nos crimes a servi de point de cristallisation à la réaffirmation de notre supériorité radicale, de certificat de virginité dont l'exhibition vallait le droit de recommencer. Au moment-même où ses élites se le représentent comme une structure ethnico-religieuse déterritorialisée, Israël sert d'assurance-vie à notre bonne conscience coloniale, de "résidence secondaire" à nos pulsions identitaires refoulées. Non seulement j'affirme qu'il n'y a rien d'antisémite à le dire mais je prétends que c'est la seule réponse radicale à l'antisémitisme qui pointe le bout de son nez derrière les grandes proclamations pseudo-bibliques de l'extrême-droite néoconservatrice.
Ce qui est paradoxalement mais radicalement antisémite, en revanche, c'est de proclamer une coïncidence entre l'antisionisme et l'antisémitisme. En effet, il y a derrière cette affirmation un impensé suicidaire : Israël serait le seul dépositaire légitime d'une généalogie juive qui se serait interrompue en 70 après Jésus-Christ. On ne pourrait donc pas critiquer Israël en tant que projet politique, sans réhabiliter du même coup les pogroms du Moyen Âge. Or il n'est pas question de critiquer Israël comme juif. Il s'agit au contraire de resituer Israël dans le temps long de l'histoire occidentale. Ce ne sont pas les "Juifs" qui sont des "nazis", c'est "Nous" qui ne cessons de porter collectivement les contradictions d'un christianisme messianico-politique dont l'épisode 1933-1945 n'est qu'un sous-produit particulièrement criminel.
Ne nous contentons pas de combattre le racisme sur le plan moral, comme s'il se réduisait à des essentialisations négatives. Ce sont les essentialisations en tant que telles qui doivent être combattues comme racistes. L'essentialisation de la victime en tant que victime, c'est-à-dire comme figure de l'innocence, se contente de "millénariser" un motif bien connu de la théologie judéo-chrétienne : un agneau sur un autel. C'est sur cette situation politique et géopolitique particulièrement scabreuse que débouche le sionisme. Cependant, il ne s'agit pas du sionisme en tant qu'il participerait d'une "essence juive". Il s'agit bien du sionisme comme pur produit de la culture occidentale : un "Christ collectif", un "Etat-Christ", dont la Croix ne serait qu'un étendard pour justifier comme "croisades" de nouvelles aspirations impériales. Le problème n'est pas le judaïsme, dont le sionisme serait vécu - par ses adversaires comme par ses promoteurs - comme un surgeon. Le problème est la continuation de ce que René Girard appelle le "christianisme historique" et dont le sionisme, à mes yeux, n'est qu'une expression paradoxale, un précipité spatio-temporel de toutes les confusions sanglantes qui ont parsemé notre histoire.
Nos concitoyens de confession juive qui prêtent la main à cette falsification (alors qu'ils ont toutes les clés pour la comprendre, cf. Shlomo Sand), n'ont peut-être pas conscience qu'ils soufflent sur les braises d'un incendie qui n'a été que provisoirement étouffé. Entre le culte et le meurtre, il n'y a que le fil d'un couteau.
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