HORLOGERIE DU SCANDALE
Il y a plus étonnant encore que le scandale planétaire causé par un Dionysos qu'on dirait sorti d'un spectacle de maternelle : c'est le piteux rétropédalage qu'a provoqué le robinet d'eau tiède des évêques français et qui a donné à voir l'une des plus grandes épidémies de copier-coller qu'on n'ait jamais vue sur les réseaux sociaux - fortune soudaine d'un peintre dijonnais dont personne n'avait jamais entendu parler et qui devenait l'argument-massue pour clouer le bec à des spectateurs mal dégrossis, coupables du crime parfait : avoir vu ce qu'ils avaient vu.
Indépendamment de la vérité sous-jacente sur les intentions à prêter aux inventeurs de la cérémonie olympique (la connaîtrons-nous jamais à l'issue après ce moment orwellien de récriture ?), il témoigne d'une conception étrangement réactionnaire de l'œuvre d'art, très semblable à celle des illuminés qui s'acharnent à voir derrière le festin des "Drag Queen" la main de "Satan". On dirait que l'œuvre est une Vénus sortie des eaux, une sorte de hiéroglyphe dont il s'agirait de découvrir la clé pour en épuiser la signification. N'est-ce pas oublier que l'art est avant tout une histoire, une galerie inépuisable de formes qui agissent en interaction les unes avec les autres, échappant aussi bien à leurs auteurs qu'à leurs destinataires, et dont l'équivoque, l'incertitude, l'inconfort, sont les lieux-mêmes par où advient la conscience d'une beauté ?
"Ce n'est pas ce que vous croyez voir". Au-delà de l'échec qu'elle révèle, cette formule ne contient-elle pas une régression en amont de tout ce que la modernité avait de positivement subversif, une manière de renouer avec la scolastique desséchée de l'"adequatio rei et intellectus" qui signifie la confusion puérile de la chose et de sa représentation ?
Voilà comment certains catholiques sont amenés à percevoir un "blasphème" dans la déconstruction d'une image produite à une époque où, par effet de mise en abyme, le statut relatif du christianisme et de l'Antique commençait à travailler la conscience occidentale. Et voilà comment des "modernes", au lieu de rebondir sur cette querelle féconde, se croient autorisés à y mettre un terme en se cachant derrière un tableau que leurs plus fins limiers, après l'avoir sans doute déniché sur "Google Image", revêtent d'une vérité intrinsèque alors qu'il est lui-même incompréhensible si l'on ne prend pas en compte le jeu avec la censure dont il semble un savoureux et précurseur témoignage.
Se vérifie ainsi, une fois de plus, que l'époque du "fact checking" et des "paniques morales" n'est rien d'autre qu'une apothéose de l'ordre petit-bourgeois - petits bourgeois de droite et petits bourgeois de gauche qui s'imaginent remonter sur la grande scène de l'Histoire alors qu'ils ne font que tenir à bout de bras les morceaux épars d'un imaginaire disjoint.
Au fond, on en viendrait presque à se demander si cette séquence trop parfaite - celle qui va au-delà du spectacle pour englober le champ de sa propre réception - n'a pas été pensée depuis le début comme un gigantesque happening picturo-littéraire par quelque artiste démiurge, génie capable de faire jouer à chacun le rôle précis qu'il en attendait et de restituer, par une horlogerie du scandale calibrée au micron, une sorte de "tragédie totale" qui serait le chef-d'œuvre ultime de l'aventure humaine...
Commentaires
Enregistrer un commentaire