NON

 


Non.

Nul n’est jamais allé à l’école pour « acquérir une culture » mais parce qu’il y était obligé. Et s’il y était obligé, ce n’était pas sous la férule bienveillante d’une bourgeoisie que les Lumières auraient constituée en bras armé de l’émancipation sociale. C’est parce que les massacreurs de la Commune, créateurs de l’école obligatoire, ont dû s’ajuster à l’état des rapports de production. Or, au stade de développement où se trouvaient les sociétés industrielles de la fin du XIXème – un capitalisme national dont les « hussards noirs" préparaient la grande boucherie de 14 – l’extorsion de la plus-value exigeait que le meilleur des classes ouvrières et paysannes fût pillé pour fournir l’armée de bureaucrates et de cadres intermédiaires dont elle avait besoin – c’est ce qu’on a appelé la « méritocratie républicaine ». Au même moment et pour la même raison, les mêmes ont évoqué l’impératif moral de « civiliser les races inférieures » pour justifier le pillage de l’Afrique et de l’Asie. Le racisme ethnique, ce mouvement par lequel on tente de naturaliser un rapport de domination, n’est qu’un sous-produit de la marchandisation humaine globale.

Dès lors que le jeu des rapports de production a conduit, quelques décennies plus tard, à sacrifier l’appareil productif dans les pays où subsistait un minimum de conquis sociaux, l’école s’est matériellement transformée pour devenir une vaste garderie à chômeurs. Elle s’est alors effondrée sous son propre poids, par inadéquation radicale entre ce pourquoi elle avait été conçue au départ et sa fonction réelle. La machine à sélectionner qui avait transformé la culture en parcours d’obstacles de la compétition sociale devenait, une fois le prétexte culturel éteint, une instance de pure discipline. L’idéologie n’y est strictement pour rien. Elle ne fait que raconter des histoires a posteriori pour tenter de désigner des responsables. Les « pédagogues » accusent les « républicains » et les « républicains » accusent les « pédagogues » mais les uns comme les autres ne font que se disputer le contrôle du même camp de concentration scolaire. L’obéissance des masses : tel est l’unique enjeu qui préoccupe les ingénieurs sociaux de la rue de Grenelle sous l’autorité d’un guignol ministériel interchangeable.

Aujourd’hui comme hier, sous des emballages rhétoriques différents, on vient apprendre à l’école (publique ou privée, laïque ou confessionnelle) que le capitalisme est naturel, que les hiérarchies sociales sont « méritées » et qu’il n’y a pas d’avenir plus désirable que de monnayer sa chair sur un « marché du travail ».

Plus exactement : on ne vient pas « l’apprendre », comme si cela relevait d’un « programme » ou d’une « méthode », on vient l’expérimenter, on vient exercer son corps aux réflexes de la soumission et de la domination. Et comme il n’est jamais trop tôt pour compenser par la contrainte ce à quoi la persuasion ne suffit plus, il fallait que ça devienne obligatoire à trois ans. C’est un effet de structure et non de volonté, de contenant et non de contenu.

Au terme du processus où la scolarisation a détruit toute culture vécue et arasé toute différence réelle, au moment par conséquent où plus aucune structure sociale ne puise en elle la vie qui la fait se tenir debout, absolument rien ne doit échapper son emprise, pas même les premiers rudiments du langage, pas même les premiers mots par lesquels on devient soi. La génération qui vient doit perdre jusqu’à l’usage autonome de la parole : elle doit être parlée par le capitalisme. Plus la vérité du système se révèle plus il est contraint de se totaliser pour colmater les brèches. Il en va du maintien de l’ordre moral. C’est à cette noble tâche que va s’employer le fascisme réellement existant sous prétexte de « civilisation » qu’il faudrait défendre contre le « séparatisme ».

Voilà de quoi le charlisme et ses martyrs sont le nom. Mais pourquoi nos maîtres se gêneraient-ils ? Tant qu’il y aura des charlots pour en porter le culte sur les autels de l’« information en continu »...

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