GALA TERMINAL DE L'OCCIDENT GENOCIDAIRE

Triomphe et faillite de la pensée schmittienne

 

Pendant que la police de Netanyahou moleste des gendarmes sur une propriété de la République française et ne provoque au Quai d’Orsay ou dans la presse d’autre réaction qu’un léger froncement de sourcil (a-t-on idée, quand on est gendarme, d’avoir une « tête d’Arabe » ?), une association organise à Paris un « gala » destiné à « mobiliser les forces francophones sionistes au service de la puissance et de la grandeur d’Israël ».


Le fondateur de l’association « Israël is forever », dont la biographie est liée à l’histoire du groupuscule d’extrême-droite « Occident »1, a déclaré que Gaza devait être transformée en « site archéologique ». Il estime aussi qu’une « larme versée à Ashkelon par une petite fille juive » mérite que les Palestiniens pleurent « des larmes de sang pendant une semaine ». Quant à l’actuelle présidente de l’association, fille du précédent, elle affirme qu’« il n’y a pas de population civile innocente à Gaza ». Par conséquent, « tant que la guerre continuera, il sera immoral et impensable de laisser passer des camions soi-disant humanitaires à Gaza ».

Devant l’indifférence relative que suscite cette injure au sens commun, il faut tenter de prendre l’exacte mesure de ce dont notre silence est complice. Le 13 novembre 2024, neuf ans jour pour jour après l’attentat du Bataclan, les responsables d'une association terroriste auront micro ouvert à Paris sous la bénédiction et la protection du ministère de l’Intérieur. Comment l’organisation d’une telle dinguerie est-elle juridiquement pensable sur le sol français alors qu’elle devrait tomber sous le coup de toutes les législations antiracistes et qu’une simple blague peut conduire son auteur devant la 17ème chambre correctionnelle ?

C’est à ce point de déréliction morale et intellectuelle, et pour ne pas sombrer dans une mimésis raciste qui raviverait tous les fantasmes d’un soi-disant « lobby juif », que la pensée de Carl Schmitt nous est d’un grand secours.

Dans un mouvement dont la biographie de son auteur n’a pas permis de restituer suffisamment la puissance subversive, l’analyse schmittienne nous rappelle – mais cet oubli est constitutif du processus ! – que toute législation se rapporte à l’« état d’exception » dont elle résulte. Aussi étrange que cela paraisse, le nazi Schmitt est aussi un Schmitt anarchiste qui nous révèle la relativité du droit, ce même droit que les démocraties libérales ont sacralisé comme l’idole transcendante du pacte social. Schmitt montre qu’il n’y a pas d’« état de droit » s’il n’y a pas un acte de souveraineté qui le précède et sur lequel il se fonde, par opposition à l’« état d’exception ». Le droit résulte mystérieusement de sa propre violation originelle : l’arbitraire de celui qui s’impose comme le pouvoir et qui, par le fait-même qu’il est reconnu comme tel, est fondé à dire : « je suis le droit ». En d’autres termes, quand elle pose l’exception comme la règle, la dictature se contente de conférer une connotation positive à ce dont la révélation devrait conduire à considérer toute espèce de pouvoir comme une aporie sanglante.

C’est le drame du politique moderne : il ne peut plus s’exercer sans produire la révélation destructrice de sa propre nature. Le déchaînement de la violence nazie, fondée sur le culte de l’exception, sur le génie d’une idiosyncrasie raciale incarnée et exprimée par le Führer, manifeste en réalité une impossibilité d’exister. Comme intellectuel organique du nazisme, Schmitt est obligé d’en dire trop : il énonce une vérité qui ne peut ordonnancer la vie des hommes que si elle est cachée. C’est pourquoi Schmitt est aussi compromettant, y compris pour les nazis eux-mêmes...

De cette contradiction résulte l’impossibilité politique où nous trouvons d’interdire une sauterie qui en appelle ouvertement au génocide. En effet, l’« exceptionnel » qui préside au droit occidental dans le monde post-1945, notamment en matière internationale, c’est la suprématie de l’Occident laïc – comprendre : l’imperium du catholicisme zombifié – accompli dans le messianisme israélien – lequel est à l’Occident ce que le fantasme aryen était aux nazis : une mythologie de bazar bricolée ex post. Le génocide célébré en grandes pompes à Paris n’est donc pas le contraire de l’état de droit. Il est notre état de droit lui-même qui cherche à se raviver dans le souvenir ébloui de sa propre transgression.

Cette remontée aux sources anthropologiques du droit permet donc de comprendre pourquoi les événements en cours ne peuvent être sanctionnés par le même système juridique dont ils se contentent d’exposer en pleine lumière la vérité dévastatrice. Comme l’explique très bien René Girard : au terme d’un processus de désagrégation, c’est le cœur qui apparaît. Ce moment offre de fabuleuses opportunités de compréhension mais, pour cette raison même, il produit en même temps un déchaînement rivalitaire d’occultations grotesques : par exemple cette sacralisation de l’état de droit qui autorise tous les massacres et toutes les ingérences pourvu qu’ils fussent commis par une « démocratie ».

Ici, dans une forme de continuité avec le travail de l’historien Chapoutot (mais sans doute la renierait-il s’il la voyait formulée de cette manière !), nous observons que le paradigme nazi s’est survécu dans le processus de sa propre négation et que l’« état de droit » se conclut dans le spectacle de son annulation : Netanyahou associant dans le même « antisémitisme » l’agression de hooligans israéliens par leurs homologues néerlandais et la traduction de son pays devant la vénérable Cour internationale de La Haye.

C’est sans doute pour cette raison – paradoxe d’une ironie dont seule l’Histoire est capable ! – que Schmitt est si utile pour penser la situation actuelle. Mais c’est sans doute aussi pourquoi la pensée de Carl Schmitt met si mal à l’aise tous ceux qui ont du mal à admettre d’aussi radicales et  dérangeantes continuités avec tout ce contre quoi nous pensions nous être construits.

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