TRUMP, COVID ET NEMESIS MEDICALE

 

La vérité de la crise COVID n’était pas l’« État profond » ou je ne sais quel délire sur la toxicité de tel médicament... Tout ceci n’était que la surcouche mythologique d’une vérité bien plus profonde : la « Némésis médicale » d’un appareil sanitaire qui cristallise toutes les déterminations matérielles d’un système capitaliste et dont la contre-productivité atteint des seuils incompatibles avec leur gestion pacifique – ce qu’on appelle, dans nos « démocraties modernes » : « l’état de droit ».

Donc, pendant qu’on continue à se raconter des histoires de complot et que certains comptent sur un Kennedy pour les sauver, ça continue encore et encore... Il s’est dit par exemple que le ministère de la santé avait profité du COVID pour retirer aux médecins la « liberté de prescrire ». Je crois plutôt que le ministère de la santé a  pris acte avec retard d’une situation qui préexistait mais qui n’avait pas encore été prise en compte dans nos représentations en raison de l’inertie qui caractérise ces dernières. Il suffit d’observer la manière strictement corporatiste dont les médecins réagissent aujourd’hui à l’obligation qui leur est désormais faite de justifier informatiquement de leurs prescriptions. Alors qu’un principe aussi fondamental que le secret médical est ouvertement violé et que l’honneur du métier est gravement mise en cause, il n’est question que de« perte de temps », de « complexité administrative ».

Rien d’étonnant à cet effondrement de l’intérieur que se contente d’accompagner la fabrication du droit par les institutions politiques. Dans un système d’inspiration fordiste où l’on reproduit des tâches selon un protocole qui fracture le réel, il y a longtemps que les médecins ne sont plus des médecins et que le soin a disparu en tant que relation humaine. Si du soin subsiste, c’est dans la clandestinité, assumé par des individus héroïques qui maintiennent le système en lui résistant.

Dans un système fordiste, il n’y a plus aucune souveraineté sur le travail, non par accident mais par construction. L’industrialisation est organisée à cette fin. Elle ne dépossède pas le travailleur. Elle EST sa dépossession qui se réalise matériellement et qui circule ensuite comme fiction monétaire (au sens où le processus n’extorque pas une plus-value déjà existante : il n'y aurait pas d'extorsion possible sans croyance commune en ce qui fait valeur (1)). La surveillance n’y est donc pas une entrave à l’organisation du travail. Il est sa vérité qui apparaît de plus en plus clairement. Les médecins, comme les enseignants, se sont laissés transformer en « charlots » qui vissent des boulons à la chaîne. Et ils protestent parce qu’ils aimeraient bien qu’on ralentisse un peu la cadence... Mais quand les structures qui les protégeaient un peu malgré eux ont achevé de s’effondrer (en particulier ce maillage serré de cabinets libéraux qui les posaient en notables face au pouvoir politique), ils se retrouvent nus et sans défense, réduits à protester parce que cocher une case va leur « prendre cinq minutes ». Les « profs », que je connais bien, ont réagi exactement de la même manière quand on leur a demandé d’évaluer leurs élèves par « compétences » : au lieu de comprendre qu’on cherchait à transformer la totalité de leur travail en processus d’évaluation (ce que l’école a toujours cherché à faire), ils ont ronchonné parce que les connexions internet n’allaient pas assez vite ou que les conseils de classe devenaient trop longs. En fait, ils sentaient bien qu’on cherchait à leur retirer quelque chose (le monopole arbitraire de la note) mais au lieu de le percevoir comme un accomplissement qui nécessitait de tout remettre à plat, à commencer par eux-mêmes, ils se sont arc-boutés sur la situation précédente comme s’il s’agissait d’un privilège catégoriel à défendre. Ils ont donc, comme tous les réactionnaires, accéléré à leur détriment le mouvement de l’histoire. Dès lors, comment s’étonner – puisque tout est lié – que non seulement ils n’aient pas protesté contre les mesures délirantes dont leurs établissements furent le théâtre pendant le COVID mais que même ils les aient devancées et trouvées toujours trop molles ?

La crise COVID peut être comprise comme un moment où nos déterminations sont brièvement passées du statut d’évidence à celles de contrainte. Obligés de bouger, certains ont vaguement senti leurs chaînes. Malheureusement, cette occasion de nous ressaisir comme les acteurs de nos vies a été manquée. Nous avons au contraire refermé les écoutilles et multiplié les dispositifs d’occultation du réel. Les uns ont choisi de diviniser l’obéissance. Les autres ont mythifîé leurs chaînes. Au lieu d’y voir la révélation de logiques collectives et structurelles, ils les ont externalisées et réifiées sous les traits de monstres malfaisants. Du printemps 2020 il nous reste quelques mythes (les enfants qui ne savent pas lire « à cause des années COVID »). Mais la structure, elle, est intacte. Telle est du reste la fonction des mythes.

Il va donc bien falloir passer par l’étape fasciste pour tirer la chasse à notre place et c’est justement ce dont Trump est le nom. Il va cristalliser sur sa personne toutes les externalités négatives d’un fonctionnement auquel nous n’avons jamais voulu cesser de consentir. Le fascisme est le moment pornographique du capitalisme : ce que nous n’arrivons plus à dissimuler sous les oripeaux d’une morale (Harris), nous allons nous mettre à le désirer comme transgression.

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(1) Cf. "Le fascisme comme vérité de la marchandise" : https://dunprintempslautre.blogspot.com/2024/11/le-fascisme-comme-verite-de-la.html

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