Manifester contre l'extrême droite ?
Trop souvent, le militant politique considère que l'extrémisme occupe une position extérieure à l'idéologie dominante alors qu'il n'en est qu'une réaction endogène, un mouvement de crispation qui accompagne sa course inéluctable vers le néant. Indépendamment de la connotation positive ou négative qu'il lui attribue subjectivement, le seul énoncé d'une telle extériorité devrait lui sembler paradoxal puisque il ne saurait se constater d'extrémité sans un continuum relativement auquel elle se situe.
L'extrémisme assèche la radicalité de celui qui le promeut comme de celui qui prétend le combattre. Il dit la vérité de l'ordre établi tandis que le consensus social ne la supporte que dissimulée sous les oripeaux d'un passé révolu. Quand l'extrémiste de droite, chauffé à blanc par les frustrations de l'ordre capitaliste, situe sa félicité dans l'avènement d'une société d'apartheid, le centriste, lui, sait que cet apartheid est déjà là, qu'il lui profite, mais que ce dernier n'est vivable que sous les apparences du "respect des droits", de l'"anti-racisme" et, plus généralement, de tout ce qui permet de vendre au consensus social ce à quoi il aspire plus que tout : le spectacle continué de la vie ordinaire.
Dans un premier temps, cette mécanique est auto-motrice puisque le discours sur l'égalité des droits alimente les tensions horizontales qui renforcent l'extrémiste de droite dans sa position tout en permettant d'en faire le bouc émissaire de ce qu'il révèle.
Cependant, il arrive que les tensions internes du système socio-économique atteignent un tel degré d'exacerbation qu'elles deviennent insolubles dans le récit de la marchandise. A ce stade, ce n'est pas l'extrême droite qui nous menace. C'est un centrisme qui s'assume en tant que pure violence sociale contre "ceux qui ne sont rien" et qui n'a plus rien d'autre à proposer qu'une tyrannie hygiéniste numérisée. Brusquement, le consensus social s'aperçoit que son centre de gravité se situe quelque part entre une Le Pen macronisée et un Macon lepénisé. C'est cela la "dédiabolisation" du FN : plus qu'une tactique politicienne, le résultat d'un glissement profond dans la tectonique des représentations collectives.
Il est donc trop tard pour "manifester contre l'extrême droite" (extrême gauche) ou déclarer qu'elle est "satanique" (centre). Quand la "gauche" "manifeste contre l'extrême droite", non content de se masquer à elle-même et à l'opinion la forme actuelle de sa résurgence, elle ne fait qu’en accélérer l'avènement parce qu'à paradigme constant, à partir d'un certain niveau de tensions internes que ce type de posture contribue à aggraver en son sein, l'extrême-droite finira par en apparaître comme le rempart ultime, l'espoir de conservation, la "divine surprise" salvatrice.
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