De la trivialité héroïque des banalités incomprises
A chaque fois que nous portons le masque, à chaque fois que nous acceptons la piqûre pour pouvoir partir en vacances, à chaque fois que nous faisons mine de prendre au sérieux les délires gouvernementaux, nous hâtons la transformation progressive de notre société en camp de concentration, c'est-à-dire en collectivité dont l'absolu orthopraxique s'est entièrement et définitivement substitué au sens. Pire : nous l'appelons de nos vœux.
Il ne s'agit pas de peser au trébuchet de la Science l'efficacité de telle ou telle de ces pratiques, ou l'intention et les compétences de ceux qui les ont mises en pratique, mais de mesurer le basculement paradigmatique qu'implique la réduction de notre vie sociale à un discours performatif sur l'efficacité, à un protocole de survie encadré par des normes.
Une très grande majorité d'entre nous ne voit pas encore que la totalité de notre édifice social est en train de vaciller sur ses fondations et menace de s'effondrer sur nos têtes. Comme il n'échoit plus à aucun souverain la responsabilité de décider de l'exceptionnel (Carl Schmitt), et donc de circonscrire l'état de droit dans des limites qui en garantissent l'effectivité, voilà que l'exceptionnel déborde de partout, que l'arbitraire devient la norme et que l'"état d'urgence" se confond avec la loi ordinaire. D'institution asservie au bien commun, l'état de droit s'est mué en mythologie fondatrice de l'appétit de puissance et du désir de servitude. Bien qu'ils paraissent contradictoires, ces deux affects sont d'autant plus compatibles et articulés l'un à l'autre qu'ils sont au fond de même nature. N'est-ce pas le même refus de la limitation humaine qui produit chez les uns, sous forme de peur devant la mort, la laisse dont les autres savent se servir pour asseoir leur domination réelle ? Aux uns la crainte biologique et la quête de quiétude par le divertissement, aux autres la haine métaphysique de la finitude et le dépassement de l'angoisse dans l'ivresse du pouvoir.
Dès lors, sous l'apparence continuée des formes juridiques héritées du passé, plus RIEN ne nous protège, ni institutions, ni justice, ni parti d'opposition. Il faut que nous prenions conscience que nous sommes entièrement nus, livrés sans défense aux appétits déchaînés d'une oligarchie devant laquelle ont été abaissées toutes les barrières sociales, toutes les réactions immunitaires que déploie d'habitude une civilisation quand elle est confrontée à la barbarie.
Nous ne pouvons plus compter sur rien ni personne. Notre avenir est entre nos mains. Il se construit dans les plus petits gestes de notre vie quotidienne, dans la trivialité héroïque des banalités incomprises.
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