Naïveté
Le Front national a voulu croire qu'on lui reprochait son racisme. Naïveté ! Au tribunal de Pascal Praud, où il était convoqué après le désastre des régionales, l'inconsistant Jordan Bardella a dû s'excuser d'avoir rempli son devoir électoral devant une femme voilée. Stupéfiante inversion des rôles. Mais ce n'est pas tout. Quand on lui demande s'il se fera vacciner, au lieu de renvoyer ses inquisiteurs à leurs chères études, le voilà qui hésite, bafouille, finit par arguer de son âge (25 ans) et d'un COVID récent pour justifier le report de cette échéance à la rentrée de septembre. Que n'avait-il pas dit là, le malheureux ! Quoi ! Hésiter devant les bienfaits de la science ! Quels sombres calculs une pareille tiédeur pouvait-elle bien dissimuler ? Ne cherchait-il pas, par hasard, à flatter le complotisme sournois des basses couches de l'électorat hospitalier ?
Ce procès disait tout. Il dévoilait, en une scène d'une crudité extrême, qu'on ne reprochait pas au FN son discours mais sa sociologie. En d'autres termes, le racisme dont on le suspecte ne sert qu'à dissimuler celui qu'on voue à son électorat par pure haine de classe.
Dans ces conditions, le FN aura beau faire la danse du ventre, ramper dans la boue, singer les bonnes manières, être plus covidiste que Delfraissy ou plus sioniste que Netanyahou, on le suspectera toujours d'être porté par les pulsions incontrôlables des classes dangereuses. Qu'il se taise devant un voile et on le soupçonnera de complicité antisémite avec l'islamogauchisme. Qu'il se gendarme de cette "atteinte à la laïcité" et l'on convoquera aussitôt la LICRA ou la Ligue des Droits de l'Homme pour entonner le couplet du retour aux heures le plus sombres. Dans le même temps, une Morano ou un Valls peuvent en appeler à la préservation de la "race blanche" sans que cela ne prête à aucune conséquence.
Aux yeux des classes dominantes, le problème du FN n'est donc pas d'être raciste mais de jouer le rôle de l'éléphant dans le magasin de porcelaine, de mettre les pieds dans le plat et de les y agiter avec un manque de goût déplorable. Il suffit, pour s'en convaincre, de bien vouloir discerner ce qui transparaît derrière le voile quasi translucide de la narration officielle. Qu'observe-t-on de si visible que c'en est presque devenu aveuglant ? Un racisme froid, méthodique, pratiqué sans scrupule par une bourgeoisie comprador au pouvoir depuis quarante ans. Une transposition industrielle de la traite négrière se traduisant, jusque dans la géographie du territoire national et dans la matérialité de ses paysages, par un double apartheid : l’apartheid social de la "France périphérique" et l'apartheid ethnique des banlieues métropolitaines. Dans ces conditions, la bourgeoisie veut bien d'un parti-croupion qui maintienne la "populace" sur une voie de garage où elle végète dans le ressassement impuissant de slogans débiles. Elle ne voit pas non plus d'inconvénient à ce que les dirigeants du FN, pour la plupart issus de ses rangs, vivent grassement des quelques prébendes électorales que cela leur permet d'entretenir. Mais qu'ils ne s'estiment pas autorisés à porter trop près des cercles du pouvoir des revendications déraisonnables qui perturberaient l'équilibre des forces en présence ! En ce cas, la seule "classe pour soi" parvient aussitôt à reconstituer son unité autour d'un Macron, d'un Bertrand ou d'une Pécresse. Quant aux rares transfuges qui croyaient avoir senti le vent tourner et avaient pris leurs dispositions en conséquence, ils sont impitoyablement châtiés de leur trahison de classe : le petit bourgeois raciste de la Côte-d'Azur, nanti d'un PEA et d'une maison secondaire, préférera toujours le farcesque Muselier au rusé Mariani.
Mendier sa respectabilité auprès de la bourgeoisie, quand on prétend représenter les catégories populaires, c'est se condamner à jouer le rôle du paillasson et n'avoir pour seule alternative que la caricature ou la reptation.
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