samedi 31 juillet 2021

Vaccination et sacrifice


René Girard, La Violence et le Sacré, 1972, pages 654 et 655 de l'édition Grasset 2007 (La Violence et la Divinité) :
 
"Dans les clystères et les saignées du XVIIème siècle, dans le souci constant d'évacuer les humeurs peccantes, nous n'avons aucune peine à reconnaître la présence obsessive de l'expulsion et de la purification comme thème médical essentiel. Nous avons affaire à une variante un peu raffinée de la cure chamanistique, de l'extraction du katharma matérialisé.
 
Rire des clystères de M. Purgon est facile mais la purge a son efficacité réelle. Et que dire devant les procédés modernes d'immunisation et de vaccination ? N'est-ce pas un seul et même modèle qui opère dans tous les cas et qui fournit son cadre intellectuel et son instrument tantôt à la pseudo-découverte tantôt à la découverte vraie ? Il faut renforcer les défenses du malade, le rendre capable de repousser par ses propres moyens une agression microbienne. L'opération bénéfique est toujours conçue sur le même mode de l'invasion repoussée, de l'intrus maléfique chassé hors de la place. Personne ici ne peut plus rire parce que l'opération est scientifiquement efficace. L'intervention médicale consiste à inoculer "un peu" de la maladie, exactement comme dans les rites qui injectent "un peu" de violence dan le corps social pour le rendre capable de résister à la violence. Les analogies donnent le vertige par leur nombre et leur exactitude. Les "piqûres de rappel" correspondent à la répétition des sacrifices et on retrouve, bien entendu, comme dans tous les modes de protection "sacrificielle", les possibilités d'inversion catastrophique : une vaccine trop virulente, un pharmakon trop puissant, peut répandre la contagion qu'il s'agissait de juguler. Pour illustrer les aspects correspondants du sacrifice nous pouvions recourir plus haut à la métaphore de la vaccination et nous constatons maintenant que le déplacement métaphorique ne se distingue pas d'une nouvelle substitution sacrificielle.
 
Nous découvrons à nouveau dans la pensée scientifique une fille de la pensée archaïque, celle qui élabore les mythes et les rituels ; nous découvrons dans un outil technique d'efficacité incontestable le prolongement raffiné, certes, mais en ligne directe des pratiques médicorituelles les plus grossières."

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