"TOUT SAUF MACRON" ?

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Quoi ? Macron à 30% dans les sondages alors que, depuis cinq ans, il n'est pas une composante sociale ni professionnelle de ce pays qu'il n'ait méthodiquement éborgnée, confinée, insultée ? Voilà qui passe les bornes de la vraisemblance. Il ne peut s'agir que d'un blitzkrieg médiatique, d'une tentative de démobiliser l'opposition à force de marteler comme une évidence la reconduction élyséenne de l'agent Rothschild-McKinsey - ce "chef de guerre" que le monde entier nous envie...

Depuis que j'ai fait campagne dans mon petit village et que j'ai personnellement expérimenté le genre de rapport servile que les gens sont capables d'entretenir avec un pouvoir qui règne sur eux par l'injustice et la maltraitance, cet argument ne me convainc plus. Nous qui sommes politisés et qui aspirons à décider de notre destin collectif, nous imaginons, depuis la bulle où nous évoluons, que c'est la norme. Or ce n'est plus le cas d'une écrasante majorité de la population. La dépolitisation des masses a atteint un degré effarant : c'est précisément ce qu'exprime le "Tout Sauf Macron".

Le "Tout Sauf Macron" signifie que nous avons identifié un bouc-émissaire grâce auquel nous nous dissimulons à nous-mêmes une réalité dérangeante : 𝘔𝘢𝘤𝘳𝘰𝘯 𝘯'𝘦𝘴𝘵 𝘱𝘰𝘶𝘳 𝘳𝘪𝘦𝘯 𝘥𝘢𝘯𝘴 𝘤𝘦 𝘲𝘶𝘪 𝘯𝘰𝘶𝘴 𝘢𝘳𝘳𝘪𝘷𝘦. Sous les traits de Macron, nous nous sommes forgés les traits d'un mauvais maître dont nous serions les victimes. Notre haine de Macron est une figure paradoxale de la domination, une manière de signifier que nous attendons une aumône plus généreuse d'un maître moins acariâtre. Or 𝘯𝘰𝘶𝘴 𝘴𝘰𝘮𝘮𝘦𝘴 𝘳𝘦𝘴𝘱𝘰𝘯𝘴𝘢𝘣𝘭𝘦𝘴 de Macron bien davantage que Macron n'est 𝘳𝘦𝘴𝘱𝘰𝘯𝘴𝘢𝘣𝘭𝘦 𝘥𝘦 𝘯𝘰𝘴 𝘮𝘢𝘭𝘩𝘦𝘶𝘳𝘴. Macron s'est contenté de donner un visage à notre capitulation. Macron a éborgné notre aveuglement, insulté notre humiliation, confiné notre atomisation dans les tentacules cancéreux de la France périurbaine. Macron est "le mauvais rêve de la société moderne enchaînée, qui n'exprime finalement que son désir de dormir" (Debord).

C'est bien la raison pour laquelle, consciemment ou non, tous les candidats, 𝘫𝘦 𝘥𝘪𝘴 𝘣𝘪𝘦𝘯 𝘛𝘖𝘜𝘚, ont renoncé à porter un discours de vérité sur les leviers que nous devrions reconquérir si nous voulions transformer les rapports de production hérités de la mondialisation néolibérale. Dans les journaux du régime, on s'est gaussé du PIB russe qui ne serait pas supérieur à celui de l'Espagne. Mais c'est du PIB en pétrole, du PIB en blé, du PIB en diamant - du PIB qui dégouline du sang des hommes mais que sa faim de chair humaine dispose encore à négocier quelque chose. Chez nous autres, plus modernes, quelle part de notre PIB comptabilise autre chose que des emplois supprimés, du tertiaire minable, de la destruction de valeur en échange de laquelle nous est consentie une misérable allocation de survie ? Sommes-nous disposés à y renoncer ? A faire la queue devant les distributeurs de billet ? A nous serrer la ceinture aussi longtemps que nous ne seront pas parvenus à reprendre en main notre appareil de production et à le retourner dans le sens de la justice et du bien commun ? On ne transforme pas les rapports de production en balayant McKinsey comme si c'était un grain de sable malencontreusement introduit dans les rouages du système. McKinsey n'est pas un grain de sable : c'est la substance-même de la prédation capitaliste dont nous sommes les victimes mais aussi, et surtout, les obligés.

La haine que Macron cristallise sur son nom (opportunément disparu de ses dernières affiches de campagne) raconte que nous ne sommes pas encore prêts à nous lancer dans une véritable guerre contre les racines de l'oppression. Pour filer la métaphore historique, tandis que la France de Macron et de Pécresse rêve de gauleiter et de pas de l'oie, la France de Zemmour, Le Pen et Mélenchon est une France sous armistice qui se raconte à elle-même des histoires relayées avec d'autant plus de complaisance par la tribune médiatique qu'elles enferment les classes populaires dans les catégories de l'impuissance. Zemmour ou Mélenchon ? Mélenchon ou Le Pen ? Il aura suffi d'un coup de fièvre électoral pour que toutes les formes d'unité et de compréhension systémique auxquelles ces deux ans nous avaient permis d'accéder s'évanouissent en fumée. Chacun réintègre son bercail d'origine en s'imaginant que c'est le monde. Pendant ce temps, en coulisse de cette mascarade, les mêmes s'empiffrent au marché noir de la finance en folie.

Voilà pourquoi, après ce que nous venons de subir depuis deux ans, les espoirs électoraux que je vois fleurir un peu partout me font tant de peine. Placer nos espoirs dans Mélenchon (ou Le Pen, ou Zemmour) nous conforte dans l'idée que le salut est ailleurs qu'en nous-mêmes - un ailleurs où nous nous mitraillons de récits que d'autres ont fabriqués pour nous et qui sont autant de manières de donner à notre capitulation le visage parodique d'une révolution. Ce sera toujours, sous diverses déclinaisons, quelque chose comme un slogan "Travail, Famille, Patrie" concédé par l'occupant à son gouvernorat local.

𝘔𝘢𝘤𝘳𝘰𝘯 𝘯'𝘦𝘴𝘵 𝘱𝘰𝘶𝘳 𝘳𝘪𝘦𝘯 𝘥𝘢𝘯𝘴 𝘤𝘦 𝘲𝘶𝘪 𝘯𝘰𝘶𝘴 𝘢𝘳𝘳𝘪𝘷𝘦. J'ai bien conscience que cette formule risque de me faire passer, une fois de plus, pour un "pessimiste", un "défaitiste", voire un agent de la "cinquième colonne". C'est au contraire un appel à la responsabilité, une invitation à laisser l'imprévu se frayer un chemin parmi les faux espoirs dont nos peurs l'encombrent.

Commentaires

  1. Si l'on comprend bien votre propos, si l'on va au bout, c'est laissons gentiment réélire le tyran - ou armons-nous et tirons !

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