L'ÊTRE ET LE NÉANT


En 1962, entre les tenants de l'apartheid (OAS) et ceux de la décolonisation (FLN) s'était immiscé un tiers séparateur, un médiateur externe capable d'imposer une différence entre les jumeaux de la violence. De Gaulle partageait avec l'OAS la même vision étroite d'une France ethnique, mais il avait compris que cette singularité n'était viable qu'au prix d'une séparation, d'une distinction, en un mot : d'une reconnaissance politique. Malgré ce que les vociférations d'un Sartre pouvaient laisser supposer, ce n'était pas le terrorisme qui avait gagné. C'était au contraire la capacité de mettre fin réciproquement à un récit dans lequel l'adversaire ne pouvait être représenté que comme terroriste et n'avait pas d'autre issue que de se conformer à cette représentation. La solution d'Évian était imparfaite, la séparation fictive (la suite le montra), mais elle avait au moins le mérite d'exister. Pour la dernière fois peut-être, quoiqu'au prix de désastres dont on ne s'est jamais remis de part et d'autre de la Méditerranée, les mécanismes d'auto-limitation de la violence avaient fonctionné.

En 2023, il n'y a plus de médiateur externe. L'Occident en phase de sénilité collective se présente comme un OAS global, une chose flasque et molle qui s'excrète sans le vouloir, une structure que plus aucune force ne peut retenir de l'intérieur. À l'instant où il se vit comme un «cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part», son affirmation coïncide avec sa négation, sa limite avec sa disparition. L'Occident se vit comme totalité et exige d'être reconnu comme tel mais, pour cette raison, il ne peut envisager d'extériorité que comme soustraction de soi. Dans ces conditions, en l'absence de tout vis-à-vis, la "croisade contre le terrorisme" ne peut se terminer que dans un gigantesque attentat-suicide.

De ce point de vue, Gaza sous blocus, soumise à l'injonction contradictoire de s'évacuer elle-même dans les frontières de son propre néant, se présente comme une métaphore de l'aporie occidentale, comme un reflet en miroir de nos plus radicales contradictions.

Benoît Girard,

le vendredi 13 octobre 2023 

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