"ÉTERNEL FÉMININ"
Afin de renvoyer dos à dos les fantasmes de la théocratie iranienne et ceux de l'Occident terminal, il faut déceler derrière des connotations en apparence opposées une commune fascination pour le corps supplicié et exposé, celui de la victime héroïsée dont la transgression et les pouvoirs participent du même imaginaire sacral, du même schéma mythologique. Les mêmes projections subjectives dégoûtent et fascinent, successivement ou simultanément, justifiant la violence dans un cas, les extrapolations romantiques sur l'"éternel féminin" de l'autre. Ce n'est donc pas le corps de la femme qu'il faut regarder ici - qu'il s'agisse de le sublimer ou de le torturer - mais les processus qui conduisent à l'instituer en image et où se sécrète la violence qui se déchaîne ensuite contre lui.
Une telle situation me paraît très représentative de ce que René Girard appelait le "sacrifice qui tourne mal" : au lieu de ramener la paix, la victime émissaire ne fait qu'attiser les rivalités mimétiques qui se cristallisent autour d'elle et qui traduisent un haut niveau d'indifférenciation dans le corps social. Au premier degré, cette femme saigne des coups qu'elle reçoit de la police des mœurs iranienne ; au second, elle est la victime d'un conflit d'appropriation qui se renforce des stigmates qu'elle reçoit. C'est sous les traits de la déesse occidentalisée qu'elle se fait massacrer par la police ; c'est sous les traits de son corps chosifié qu'elle fait l'objet d'une assomption dans l'imaginaire occidental.
Partout où se ferme l'accès à la personne comme singularité unique se déchaînent les essentialisations meurtrières. Derrière toutes nos représentations, derrière toutes nos fuites en dehors du réel, il y a un récit qui s'écrit en lettres de sang.
[En bas : Paul Cézanne, L'Éternel féminin, peinture à l'huile sur toile, 1877.]
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