Situation politique invraisemblable : alors que le vote du budget est le geste par lequel se vérifie et se manifeste une majorité, il n’y plus que l’opposition pour l’adopter. Et c’est dans l’opposition à l’opposition qu’apparaît une nouvelle majorité LREM-LR-RN. Le « barrage » s’inverse : accouchement dans la douleur d’une vérité politique qui a du mal à s’assumer comme telle, manifestation d’un « en même temps des en même temps » qui se présente comme la fusion de l’« en même temps néolibéral » et de l’« en même temps autoritaire ».
Simple modernisation du « ni droite ni gauche », le « en même temps » est en fait un monstre à double face. C’est d’une part la vérité innommable du capitalisme, cette tyrannie monstrueuse de la valeur d’échange dont la traduction institutionnelle ne peut reposer que sur la distinction fictive et ritualisée d’une droite et d’une gauche. C’est d’autre part, quand le capitalisme ploie sous les contradictions qu’engendre son propre développement, cette même vérité originelle qui affleure à la surface de nos consciences et prend les couleurs chatoyantes d’un monde à explorer. Voici le monstre redoutable, dont l’expulsion a permis de délimiter le périmètre vivable de la « démocratie libérale », transfiguré en horizon désirable de notre félicité collective.
Les structures du « fascisme réellement existant », cette confusion que le « en même temps » a maquillée en réconciliation, ont donc été préparées par dix ans de macronisme. Il leur reste maintenant à se trouver une incarnation crédible. Pour cela, ils doivent expulser un Emmanuel Macron que l’exercice erratique du pouvoir a usé jusqu’à la corde et dont les mains sont encore trop liées au vieux monde pour qu’il puisse en violer ouvertement tous les tabous.
C’est là où Bardella, porté par le grand orchestre médiatique, bénéficie d’un alignement des planètes en sa faveur. Quoi qu’on fasse ou quoi qu’on dise, le RN demeure perçu aux yeux d’un pourcentage massif de la population comme un parti « d’opposition au système » puisque c’est à la croisade qu’elle mène contre lui depuis 40 ans qu’a fini par se ramener le seul et unique contenu de l’idée démocratique. Par effet de décalage entre l’accélération du réel et l’inertie de ses représentations, le RN va donc pouvoir construire son arrivée au pouvoir sur sa capacité à faire passer son néolibéralisme pour de l’empathie avec les classes populaires au moment où celles-ci n’ont plus rien d’autre à désirer que le rejet de l’existant. Dans l’intervalle, cette situation engendre un mélange de paralysie et de chaos dont les vicissitudes du budget 2025 nous donnent un bel avant-goût. Chacun doit apparaître comme le plus radical opposant de ce qu’il a laissé faire ou de ce qu’il se prépare à radicaliser. C’est le moment Barnier : ce temps suspendu d’une impuissance provisoirement inamovible. Mais dans les profondeurs d’une mer d’huile, un tsunami se prépare...
De ce point de vue, l’interview promotionnelle de Bardella par Praud sur Cnews est très éclairante (1). Face à un Praud qui lui reproche de s’« écraser » devant les « gauchistes » du service public, Bardella passe son temps à essayer d’expliquer qu’il « n’est pas du système ». Et EN MÊME TEMPS il s’acharne à refuser l’étiquette de « droite » qui, dans l’univers de Praud, est synonyme de « changement de logiciel ». Tout ça se résout dans une salade managériale et démagogique à la gloire des « entrepreneurs » et du « travail qui doit payer ». La confusion se fait si bégayante, si bafouillante, qu’on en serait presque conduit à s’apitoyer sur la vie gâchée de ce jeune apparatchik qui n’aura jamais eu d’autre rapport au monde que le filtre des fictions médiatiques où il essaie de conquérir le premier rôle...
Le barrage de cet été, auquel on ne reprochera jamais assez à LFI d’avoir prêté la main sous couverture de l’inepte NFP, les faux-semblants du RN sur les retraites, qui ont poussé le cynisme à un degré rarement vu auparavant, ont retardé la manifestation de la vérité. L’image choc de cet hémicycle majoritairement rassemblé dans un « barrage contre la démocratie » va-t-il faire mouche sur les consciences et réajuster les représentations sur la réalité ? Hélas, comme souvent, plus le signe est éclairant, plus il est aveuglant et plus il a tendance à occulter ce qu’il révèle. Dans ces conditions, les révolutions ne sont bien souvent qu’un retour au point de départ...
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« Emmanuel Macron peut-il encore s'en sortir ? Les confessions d’Alain Minc » https://www.youtube.com/watch?v=wewiMpUg15E
« J'ai voulu raconter l'envers du décor de la vie politique. » : Jordan Bardella sur CNEWS https://www.youtube.com/watch?v=5EK9dvPdnhs
« Eric Ciotti argumente son soutien envers Donald Trump » https://www.youtube.com/watch?v=xJMi3V23R2s
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