TOUS DES MAMADOU (1)
Les images qui nous reviennent de l'équipée présidentielle à Mayotte exercent un effet de sidération. Tout est à la fois si éclairant et si aveuglant dans les scènes offertes par ce "voyage au bout de la nuit" mâtiné de "Tintin au Congo" que le corps de Macron joue les fusibles dans nos cervelles travaillées par des affects en surchauffe. Nous sommes tentés de déployer devant le monde l'écran de cette chemise blanche agitée d'une gestuelle saccadée. Comme il était arrivé à Louis XVI, la fonction monarchique régresse à ses origines sacrificielles et se voit dévolue par l'immanence collective la douloureuse fonction de personnifier le scandale. C'est sans doute de ce même processus de mise à mort cathartique que participent les "fuites" d'un quotidien vespéral à propos de sulfureuses soirées élyséennes : voilà les tabous violés avec la même gourmandise qu'ils avaient été institués sept ans plus tôt comme une chape de plomb au-dessus de notre cécité volontaire.
Mais ne nous faisons pas trop d'illusions : sitôt disparue "la victime en attente d'immolation" (2), nous serons bien démunis, seuls face à nous-mêmes. Car ce qui est parlé à travers Macron, ce qu'exprime son regard perdu, n'est rien d'autre que notre vérité collective : un État colonial qui se pose en extériorité de sa population et qui prétend lui faire la charité après avoir consciencieusement détruit ses conditions d'existence. Pour reprendre le vocabulaire du président de la République : du dernier des bidonvilles mahorais à la plus abandonnée des fermes limousines, nous sommes tous des "Mamadou" surnuméraires dont ne sait plus quoi faire " le cercle de la raison".
Face à cette situation, ne nous contentons pas, comme le fait une partie de l'extrême-gauche, d'inverser les catégories de l'essentialisation : "virer les Français" pour rendre leur liberté aux "habitants séculaires". La politique ne se déploie pas dans la redistribution des antériorités légitimes, dans le réagencement des "nous" sur la base de continuités ethniques qui sont le fantasme de l'extrême-droite, mais dans l'"ici et maintenant" d'un héritage historique qu'il faut assumer pour mieux le dépasser. Il y a des convergences révolutionnaires à construire entre des populations à qui la même langue, à des milliers de kilomètres de distance, permet de formuler des rêves communs. Face aux délires de l'Occident terminal, voilà que la Corrèze et le Zambèze ont quelque chose à dire au monde, une singulière articulation du particulier et de l'universel qui renvoie dos-à-dos les clôtures identitaires et les messianismes coloniaux.
Quelque part entre Dunkerque et Mamoudzou, dans une fissure de l'espace et du temps, s'est réfugiée notre espérance de demeurer des hommes. Comme Français, nous avons la responsabilité de ne pas la décevoir.
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(1) Ainsi Macron désignait-il, d'après le journal Le Monde, ceux qui engorgeaient les services d'urgence des hôpitaux.
(2) C'est ainsi que René Girard définit la fonction royale à partir de l'exemple des monarchies sacrées africaines (La Violence et le sacré).
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